vendredi 27 mai 2011

Les bellatores, oratores et laboratores de Georges Dumézil

Le concept des fonctions tripartites indo-européennes fut développé par Georges Dumézil.



Georges Dumézil - L’Héritage indo-européen à Rome.
Gallimard, Paris.


M. Dumézil est parti d’un point de vue tout profane, mais il lui est arrivé , au cours de ses recherches, de rencontrer certaines données traditionnelles, et il en tire des déductions qui ne manquent pas d’intérêt, mais qui ne sont pas toujours entièrement justifiées et qu’on ne saurait accepter sans réserves, d’autant plus qu’il s’efforce presque constamment de les appuyer sur des considérations linguistiques dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont fort hypothétiques.
 
Comme d’ailleurs ces données sont forcément très fragmentaires, il s’est « fixé » exclusivement sur certaines choses telle que la division « tripartite », qu’il veut retrouver partout, et qui existe en effet dans bien des cas, mais qui n’est pourtant pas la seule dont il y ait lieu de tenir compte, même en se bornant au domaine où il s’est spécialisé. Dans ce volume, il a entrepris de résumer l’état actuel de ses travaux, car il faut reconnaître que, du moins il n’a pas la prétention d’être parvenu à des résultats définitifs, et d’ailleurs ses découvertes successives l’ont déjà amené à modifier ses conclusions à plusieurs reprises. Ce dont il s’agit essentiellement, c’est de dégager les éléments qui, dans la tradition romaine, paraissent remonter directement à l’époque où les peuples qu’on est convenu d’appeler « indo-européens » ne s’étaient pas encore partagés en plusieurs rameaux distincts, donc chacun devait par la suite poursuivre son existence d’une façon indépendante des autres. A la base de sa théorie est la considération du ternaire de divinités constitué par Jupiter, Mars et Quirinus, qu’il regarde comme correspondant à trois fonctions sociales ; il semble d’ailleurs qu’il cherche un peu trop à tout ramener au point de vue social, ce qui risque d’entraîner assez facilement un renversement des rapports réels entre les principes et leurs applications. Il y a même chez lui une certaine tournure d’esprit plutôt « juridique » qui limite manifestement son horizon ; nous ne savons d’ailleurs s’il l’a acquise en se consacrant surtout à l’étude de la civilisation romaine, ou si c’est au contraire parce qu’il avait déjà cette tendance que celle-ci l’a attiré plus particulièrement, mais en tout cas les deux choses nous paraissent n’être pas entièrement sans rapport entre elles.
 
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des questions qui sont traitées dans ce livre, mais nous devons tout au moins signaler une remarque véritablement curieuse, d’autant plus que c’est sur elle que repose une notable partie de ces considérations ; c’est que beaucoup de récits qui se présentent ailleurs comme « mythes » se retrouvent, avec tous leurs traits principaux, dans ce qui est donné comme l’histoire des premiers temps de Rome, d’où il faudrait conclure que les Romains ont transformé en « histoire ancienne » ce qui primitivement était en réalité leur « mythologie ». A en juger par les exemples que donne M. Dumézil, il semble bien qu’il y ait quelque chose de vrai là-dedans, quoiqu’il ne faille peut-être pas abuser de cette interprétation en la généralisant outre mesure ; il est vrai qu’on pourrait aussi se demander si l’histoire, surtout quand il s’agit d’ « histoire sacrée », ne peut pas, dans certains cas, reproduire effectivement le mythe et en offrir comme une image « humanisée », mais il va de soi qu’une telle question, qui en somme n’est autre que celle de la valeur symbolique des faits historiques, ne peut même pas se poser à l’esprit moderne.
 
René Guénon, Formes traditionnelles et cycles cosmiques, comptes rendus

Dans le même n° de la Revue de l’Histoire des Religions se trouve un article ou plutôt une série de notes de M. Georges Dumézil, intitulée «Tripertita» fonctionnels chez divers peuples indo-européens; nous nous demandons pourquoi ne pas dire plus simplement « tripartitions », car c’est bien de cela qu’il s’agit en réalité. M. Dumézil paraît d’ailleurs avoir, au point de vue linguistique, des idées assez particulières et qu’il serait difficile d’accepter sans réserves; mais il n’y en a pas moins dans tout cela des considérations intéressantes. Nous y remarquons plus spécialement ce qui concerne l’usage chez un grand nombre de peuples, en connexion avec une répartition des fonctions sociales en trois catégories, ces trois mêmes couleurs symboliques: blanc, rouge, noir (ou bleu foncé), qui sont précisément, bien que d’ailleurs l’auteur ne l’ait pas indiqué, celles qui correspondent aux trois gunas dans la tradition hindoue.
René Guénon, Comptes rendus, juillet-aout 1948

Nous avons reçu les trois premiers numéros d’un bulletin polycopié intitulé Ogam, qui est l’organe des « Amis de la Tradition Celtique »; cette publication est la conséquence d’une scission survenue parmi les rédacteurs de Kad à la suite de ce dont nous avons parlé récemment (voir n° de juillet-août 1948): ceux d’entre eux qui ont voulu prendre une attitude nettement traditionnelle n’ont pas été suivis par les autres, et ce sont eux qui ont fondé ce nouveau bulletin; nous leur souhaitons de trouver bientôt les moyens d’en améliorer la présentation un peu « rudimentaire ». Nous y noterons plus particulièrement une étude sur la constitution de l’homme d’après les données de la tradition celtique comparée avec celles de la tradition hindoue, ainsi que des traductions de textes irlandais et le début d’études sur la mythologie celtique qui promettent d’être intéressantes; mais peut-être, pour ces dernières, s’appuie-t-on avec un peu trop de confiance sur les travaux de M. Georges Dumézil, qui nous paraissent contenir bien des vues assez contestables et ne s’accordant pas entièrement avec le point de vue traditionnel.
René Guénon, Comptes rendus, janvier-février 1949



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