jeudi 14 juillet 2011

Les positions pseudo-guénoniennes de LLP 3 - La Franc-Maçonnerie

Suite de:


Commençons l'évocation de ce sujet par une citation :

René Guénon:
Dans le Symbolisme (numéro d’octobre-novembre-décembre), Gaston Moyse proteste contre l’opinion vulgaire « qui s’obstine à voir entre la Franc-Maçonnerie et les Sociétés dites de « Libre-Pensée » une étroite parenté » ; il remarque avec raison que le « libre-penseur intégral », se proclamant l’ennemi de tous les rites, doit logiquement être par là même un adversaire de la Maçonnerie.
Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, comptes rendus d’articles de revues, mai 1940

C’est juste une boutade... (mais elle est bien bonne)




Sommaire 

1) Amalgames douteux
2) État présent de la Franc-Maçonnerie
3) Perspectives et enjeux
4) La loge P2
5) La révolution
6) L'Islam et la Franc-Maçonnerie





1) Amalgames douteux

Tout d'abord, il n'est pas anodin de remarquer de quelle façon est présentée la Maçonnerie dans la conférence de LLP : précédée par des histoires de sorcellerie, et suivie par l'évocation d'affaires de réseaux pédophiles, de sectes sataniques et de tueurs en série. Ça n'est pas très sérieux, on se demande en effet, par exemple, à quel moment est évoquée la Franc-Maçonnerie par les enfants du juge Roche :
 









Il est question d'une secte satanique qui pratique dans ses "rituels" le sexe de groupe, la torture et les sacrifices humains, et dont l'idéologie est de faire tomber les barrières morales de ses membres. Quel est le moindre rapport avec la Maçonnerie, honnêtement ? De même pour la "Main de la Mort", la secte satanique qui achetait des victimes à Henry Lee Lucas pour faire des sacrifices humains, on est complètement hors sujet.

En désignant des faux responsables, on protège les vrais coupables, et c'est très grave. Les satanistes en question, si tout ceci est véridique, doivent bien rire de ces pitreries !

René Guénon :
Qu’il y ait par le monde des  « satanistes »  et des  « lucifériens », et même beaucoup plus qu’on ne le croit généralement, cela est incontestable ;  mais ces choses n’ont rien à voir avec la Maçonnerie ; n’aurait-on pas, en imputant à celle-ci ce qui se trouve réellement ailleurs, eu précisément pour but de détourner l’attention et d’égarer les recherches ?
Ibid., comptes rendus de livres, janvier 1935, L. Fry – Léo Taxil et la Franc-Maçonnerie


En réalité, le seul rapport qu'on puisse trouver, c'est le copinage, qui a en effet bien lieu entre certains maçons, comme ailleurs. Mais quel rapport entre le symbolisme et les rites maçonniques, et les pratiques de réseaux, qui sont complètement profanes ? Le copinage est très répandu dans tous les milieux, y compris parmi certains animateurs anti-système, qui n'hésitent pas à sacrifier la vérité et leur honnêteté au prix de leurs petites solidarités de pseudo-résistants. C'est ce que fait LLP lorsqu'il protège coûte que coûte, sans aucune raison valable et en toute mauvaise foi, le grotesque Laurent James, alors que confondu, le dos au mur, ce dernier ne trouve rien de plus pertinent à faire que de se vautrer dans des menaces de représailles :
http://novusordoseclorum.discutforum.com/t6775p30-laurent-james-discussion

Mais quoi de plus normal que de se soutenir entre propagandistes délirants ?

LLP :
- Qu’en est-il de la fraternité ultime la franc-maçonnerie ? Son cas expliqué correctement ferait comprendre les mécanismes de gestion du monde, car elle détient sa clé de lecture ésotérique, voire occultiste. On a bien vu que toutes les personnes précédemment citées étaient toutes, de près ou de loin, liées à la franc-maçonnerie. Son pouvoir est certain et total, banque, magistrature politique, police, médias. La majeure partie de nos contemporains croient que c’est un club de réflexion philosophique dans lequel on discutaille du monde pour améliorer le sort de l’humanité.
 - Qu’elle soit déiste comme la GLNF, ou athéiste prosélyte comme le Grand Orient ou plus exactement le non Orient, les maçonneries sont totalement dégénérées et leur seule mission actuelle est de proposer une contre-initiation, bien éloignée de la maçonnerie opérative initiale des bâtisseurs de cathédrales : le livre récent de Sophie Coignard, Un état dans l’état, démontre bien les pouvoirs de cette secte, et ses magouilles, mêmes si le début de cet exposé en a exposé bien des faits accablants.

On ne comprend pas très bien où est l'ésotérisme, (ou même l'occultisme, ce qui est apparemment synonyme pour LLP), dans tout ce qui est évoqué...


Pourtant, la conférence ne devait pas concerner les réseaux, mais l'occultisme, comme il a été précisé à son introduction :
LLP :
- j’ai parlé de la franc-maçonnerie, son aspect réseaux, voyoucratie.
- Ici il va être question d’« ésotérisme et pouvoir », ou plus exactement « occultisme et pouvoir », sous-titré « de la réalité du monde ».


Même si elles sont ici exagérées jusqu'à la caricature (où sont évoqués par exemple le Siècle, la Trilatérale ou le groupe de Bilderberg ? ça aussi ce serait la Franc-Maçonnerie ??), les dérives affairistes liées à la Franc-Maçonnerie, comme celles que dénonce Sophie Coignard, sont bien réelles. Mais est-ce bien honnête de juger une organisation par ses manifestations les plus inférieures ? Dans le domaine religieux, on fait de même passer l'Eglise catholique pour un club de pédophiles.


LLP :
- Le rite maçonnique se réalise dans une loge à l’architecture identique à celle du temple de Salomon, prophète de Dieu. Les colonnes, le sol en damier, la voûte étoilée, son orientation dirigée vers l’Orient, tout ceci, d’ailleurs ils ne s’en cachent même pas ! c’est bien un temple, et temple ou templum vient d’une racine indo-européenne qui veut dire découper, opérer une césure entre le monde profane et l’espace de ce temple, qui devient sacré, et protégé par Dieu, pour y pratiquer le culte, par des rites précis.
- Il ne me reste plus qu’à trouver le faux dieu de cette fraternité satanique (illustration d’Eliphas Lévi).

René Guénon :
Dans le  Symbolisme  (numéro de décembre), sous le titre  Le Plagiat des Religions, Albert Lantoine envisage les ressemblances qui existent entre le symbolisme des diverses religions, y compris le Christianisme, celui de la Maçonnerie et celui des initiations antiques ; il n’y a pas lieu de s’étonner, dit-il, de ces similitudes qui procèdent, non du plagiat volontaire, mais d’une concordance inévitable ; cela est exact, mais il faudrait aller encore plus loin en ce sens, et il a le tort de méconnaître  la filiation réelle, et non pas seulement  « livresque »  ou « idéale », qui existe entre les différentes formes traditionnelles, sous leur double aspect exotérique, dont la religion est un cas particulier, et ésotérique ou initiatique ; il ne s’agit point là d’« emprunts », bien entendu, mais des liens qui rattachent toute tradition authentique et légitime à une seule et même tradition primordiale.
Ibid., comptes rendus d'articles de revues, février 1938

L'ésotérisme et la religion sont deux domaines bien distincts, ce que fait LLP c'est taxer de satanisme tout rite qui n'est pas religieux. C'est bien la peine de déclarer ensuite :

LLP :
Ma position guénonienne me cause plus de soucis qu’autre chose avec mes congénères... L’Islam moderne est plus exotérique qu’ésotérique et ça tu dois le savoir non ?!

Outre le fait que rigoureusement cette phrase ne veut rien dire, ce qu'elle veut confusément dénoncer concernant l'Islam, c'est exactement ce que fait LLP avec la Maçonnerie, en réduisant une forme traditionnelle à son seul aspect humain.


René Guénon :
Des erreurs plus subtiles, et  par suite plus redoutables,  se produisent parfois lorsqu’on parle, à propos de l’initiation, d’une « communication »  avec des états supérieurs ou des « mondes spirituels » ; et, avant tout, il y a là trop souvent l’illusion qui consiste à prendre pour  « supérieur »  ce qui ne l’est pas véritablement, simplement parce qu’il apparaît comme plus ou moins extraordinaire ou « anormal ». Il nous faudrait en somme répéter ici tout ce que nous avons déjà dit ailleurs de la confusion du psychique et du spirituel (1), car c’est celle-là qui est le plus fréquemment commise à cet égard ;  les états psychiques n’ont, en fait, rien de « supérieur » ni de « transcendant », puisqu’ils font uniquement partie de l’état individuel humain (2) ; et, quand nous parlons d’états supérieurs de l’être, sans  aucun abus de  langage, nous entendons par là  exclusivement les états supra-individuels.
 
Mais ce n’est pas tout : admettons que, dans la pensée de certains, il s’agisse vraiment d’une communication avec les états supérieurs ; cela sera encore bien loin de suffire à caractériser l’initiation. En effet, une telle communication est établie aussi par des rites d’ordre purement exotérique, notamment par les rites religieux ; il ne faut pas oublier que, dans ce cas également, des influences spirituelles, et non plus simplement psychiques, entrent réellement en jeu, bien que pour des  fins toutes différentes de celles qui se rapportent au domaine initiatique. L’intervention d’un élément « non-humain »  peut définir, d’une façon générale, tout ce qui est authentiquement traditionnel ; mais la présence de ce caractère commun n’est pas une raison suffisante pour ne pas faire ensuite les distinctions nécessaires, et en particulier pour confondre le domaine religieux et le domaine initiatique, ou pour voir entre eux tout au plus une simple différence de degré, alors qu’il y a réellement une différence de nature, et même, pouvons-nous dire, de nature profonde. Cette confusion est très fréquente aussi, surtout chez ceux qui prétendent étudier l’initiation « du dehors », avec des intentions qui peuvent être d’ailleurs fort diverses ; aussi est-il indispensable de la dénoncer formellement : l’ésotérisme est essentiellement autre chose que la religion, et non pas la partie « intérieure » d’une religion comme telle, même quand il prend sa base et son point d’appui dans celle-ci comme il arrive dans certaines formes traditionnelles, dans l’Islamisme par exemple (3) ; et  l’initiation n’est pas non plus une sorte de religion spéciale réservée à une minorité, comme semblent se l’imaginer, par exemple, ceux qui parlent des mystères antiques en les qualifiant de « religieux » (4). Il ne nous est pas possible de développer ici toutes les différences qui séparent les deux domaines religieux et initiatique, car, plus encore que lorsqu’il s’agissait seulement du domaine mystique qui n’est qu’une partie du premier, cela nous entraînerait assurément fort loin ; mais il suffira, pour ce que nous envisageons présentement, de préciser que la  religion considère l’être uniquement dans l’état individuel humain et ne vise aucunement à l’en faire sortir, mais  au contraire à lui assurer les conditions les plus favorables dans cet état même (5), tandis que l’initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités de cet état et de rendre effectivement possible le passage aux états supérieurs, et même, finalement, de conduire l’être au delà de tout état conditionné quel qu’il soit.
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1 - Voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXV.
2 -  Suivant la représentation géométrique que nous avons exposée dans  Le Symbolisme de la Croix, ces
modalités d’un même état sont de simples extensions se développant dans le sens horizontal, c’est-à-dire à un même niveau, et non pas dans le sens vertical suivant lequel se marque la hiérarchie des états supérieurs et inférieurs de l’être.
3 - C’est pour bien marquer ceci et éviter toute équivoque qu’il convient  de dire « ésotérisme islamique » ou
« ésotérisme chrétien », et non pas, comme le font certains, « Islamisme ésotérique » ou « Christianisme ésotérique » ; il est facile de comprendre qu’il y a là plus qu’une simple nuance.
4 -  On sait que l’expression « religion de mystères » est une de celles qui reviennent constamment dans la
terminologie spéciale adoptée par les « historiens des religions ».
5 -  Bien entendu, il s’agit ici de l’état humain envisagé dans son intégralité, y compris  l’extension indéfinie de
ses prolongements extra-corporels.
Aperçus sur l'Initiation, chapitre III - Erreurs diverses concernant l'initiation




2) État présent de la Franc-Maçonnerie

En guise d'articulation avec la partie qui précède :
S’il arrive que des idées « philosophiques » et plus ou moins « rationalistes » s’infiltrent dans une organisation initiatique, il ne faut voir là que l’effet d’une erreur individuelle (ou collective) de ses membres, due à leur incapacité de comprendre sa véritable nature, et par conséquent de se garantir de toute « contamination » profane ; cette erreur, bien entendu, n’affecte aucunement le principe même de l’organisation, mais elle est un des symptômes de cette dégénérescence de fait dont nous avons parlé, que celle-ci ait d’ailleurs atteint un degré plus ou moins avancé. Nous en dirons autant du « sentimentalisme » et du « moralisme » sous toutes leurs formes, choses non moins profanes par leur nature même ; le tout est du reste, en général, lié plus ou moins étroitement à une prédominance des préoccupations sociales ; mais c’est surtout quand celles-ci en viennent à prendre une forme spécifiquement « politique », au sens le plus étroit du mot, que la dégénérescence risque de devenir à peu près irrémédiable. Un des phénomènes les plus étranges en ce genre, c’est la pénétration des idées « démocratiques » dans les organisations initiatiques occidentales (et naturellement, nous pensons surtout ici à la Maçonnerie, ou tout au moins à certaines de ses fractions), sans que leurs membres paraissent s’apercevoir qu’il y a là une contradiction pure et simple, et même sous un double rapport : en effet, par définition même, toute organisation initiatique est en opposition formelle avec la conception « démocratique » et « égalitaire », d’abord par rapport au monde profane, vis-à-vis duquel elle constitue, dans l’acception la. plus exacte du terme, une « élite » séparée et fermée, et ensuite en elle-même, par la hiérarchie de grades et de fonctions qu’elle établit nécessairement entre ses propres membres. Ce phénomène n’est d’ailleurs qu’une des manifestations de la déviation de l’esprit occidental moderne qui s’étend ct pénètre partout, même là où elle devrait rencontrer la résistance la plus irréductible ; et ceci, du reste, ne s’applique pas uniquement au point de vue initiatique, mais tout aussi bien au point de vue religieux, c’est-à-dire en somme à tout ce qui possède un caractère véritablement traditionnel.

Ainsi, à côté des organisations demeurées purement initiatiques, il y a celles qui, pour une raison ou pour une autre, ont dégénéré ou dévié plus ou moins complètement, mais qui demeurent pourtant toujours initiatiques dans leur essence profonde, si incomprise que soit celle-ci dans leur état présent. Il y a ensuite celles qui n’en sont que la contrefaçon ou la caricature, c’est-à-dire les organisations pseudo-initiatiques ; et il y a enfin d’autres organisations à caractère également plus ou moins secret, mais qui n’ont aucune prétention de cet ordre, et qui ne se proposent que des buts n’ayant évidemment aucun rapport avec le domaine initiatique ; mais il doit être bien entendu que, quelles que soient les apparences, les organisations pseudo-initiatiques sont en réalité tout aussi profanes que ces dernières, et qu’ainsi les unes et les autres ne forment vraiment qu’un seul groupe, par opposition à celui des organisations initiatiques, pures ou « contaminées » d’influences profanes. Mais, à tout cela, il faut encore ajouter une autre catégorie, celle des organisations qui relèvent de la « contre-initiation », et qui ont certainement, dans le monde actuel, une importance bien plus considérable qu’on ne serait tenté de le supposer communément ; nous nous bornerons ici à les mentionner, sans quoi notre énumération présenterait une grave lacune, et nous signalerons seulement une nouvelle complication qui résulte de leur existence : il arrive dans certains cas qu’elles exercent une influence plus ou moins directe sur des organisations profanes, et spécialement pseudo-initiatiques[1] ; de là une difficulté de plus pour déterminer exactement le caractère réel de telle ou telle organisation ; mais, bien entendu, nous n’avons pas à nous occuper ici de l’examen des cas particuliers, et il nous suffit d’avoir indiqué assez nettement la classification qu’il convient d’établir d’une façon générale.
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1 - Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXVI.
Ibid., chapitre XII – Organisations initiatiques et sociétés secrètes


L'affirmation de LLP sur la Maçonnerie est assez claire :

LLP :
les maçonneries sont totalement dégénérées et leur seule mission actuelle est de proposer une contre-initiation, bien éloignée de la maçonnerie opérative initiale des bâtisseurs de cathédrales.

Pourtant...

René Guénon :
Des investigations que nous avons dû faire à ce sujet, en un temps déjà lointain, nous ont conduit à une conclusion formelle et indubitable que nous devons exprimer ici nettement, sans nous préoccuper des fureurs qu’elle peut risquer de susciter de divers côtés : si l’on met à part le cas de la survivance possible de quelques rares groupements d’hermétisme chrétien du moyen âge, d’ailleurs extrêmement restreints en tout état de cause, c’est un fait que, de toutes les organisations à prétentions initiatiques qui sont répandues actuellement dans le monde occidental, il n’en est que deux qui, si déchues qu’elles soient l’une et l’autre par suite de l’ignorance et de l’incompréhension de l’immense majorité de leurs membres, peuvent revendiquer une origine traditionnelle authentique et une transmission initiatique réelle ; ces deux organisations, qui d’ailleurs, à vrai dire, n’en furent primitivement qu’une seule, bien qu’à branches multiples, sont le Compagnonnage et la Maçonnerie. Tout le reste n’est que fantaisie ou charlatanisme, même quand il ne sert pas à dissimuler quelque chose de pire ; et, dans cet ordre d’idées, il n’est pas d’invention si absurde ou si extravagante qu’elle n’ait à notre époque quelque chance de réussir et d’être prise au sérieux, depuis les rêveries occultistes sur les « initiations en astral » jusqu’au système américain, d’intentions surtout « commerciales », des prétendues « initiations par correspondance » !
Ibid., chapitre V – de la régularité initiatique

Que fait en réalité LLP ?
René Guénon :
Cette subversion peut consister, soit à attribuer à l'aspect « maléfique », tout en le reconnaissant cependant comme tel la place qui doit normalement revenir à l'aspect « bénéfique », voire même une sorte de suprématie sur celui-ci, soit à interpréter les symboles au rebours de leur sens légitime, en considérant comme « bénéfique » l'aspect qui est en réalité « maléfique » et inversement. […] … la subversion la plus habile et la plus dangereuse est certainement celle qui ne se trahit pas par des singularités trop manifestes et que n'importe qui peut facilement apercevoir, mais qui déforme le sens des symboles ou renverse leur valeur sans rien changer à leurs apparences extérieures. Mais la ruse la plus diabolique de toutes est peut-être celle qui consiste à faire attribuer au symbolisme orthodoxe lui-même, tel qu'il existe dans les organisations véritablement traditionnelles, et plus particulièrement dans les organisations initiatiques, qui sont surtout visées en pareil cas, l'interprétation à rebours qui est proprement le fait de la « contre-initiation » ; et celle-ci ne se prive pas d'user de ce moyen pour provoquer les confusions et les équivoques dont elle a quelque profit à tirer.
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chapitre XXX - Le renversement des symboles

Espérons que ce ne soit pas conscient. En tous cas, LLP attribue à ces membres de la contre-tradition une lucidité qu'ils n'ont pas du tout :
LLP :
Les satanistes sont les plus intelligents, la preuve est que c’est eux qui ont le pouvoir en ce moment.

Rappelons ce passage, déjà cité à une autre occasion (décidément, certains gagneraient à (re ?)lire Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps !) :
René Guénon :
Évidemment, de tels êtres ne peuvent jamais être des mécanistes ni des matérialistes, ni même des « progressistes » ou des « évolutionnistes » au sens vulgaire de ces mots, et, quand ils lancent dans le monde les idées que ceux-ci expriment, ils le trompent sciemment ; mais ceci ne concerne en somme que l’« antitradition » négative, qui n’est pour eux qu’un moyen et non un but, et ils pourraient, tout comme d’autres, chercher à excuser cette tromperie en disant que « la fin justifie les moyens ». Leur erreur est d’un ordre beaucoup plus profond que celle des hommes qu’ils influencent et « suggestionnent » par de telles idées, car elle n’est pas autre chose que la conséquence même de  leur ignorance totale et invincible de la vraie nature de toute spiritualité ; c’est pourquoi il est beaucoup plus difficile de dire exactement jusqu’à quel  point ils peuvent être conscients de la fausseté de la « contre-tradition » qu’ils visent à constituer, puisqu’ils peuvent croire très réellement qu’en cela ils s’opposent à l’esprit, tel qu’il se manifeste dans toute tradition  normale et régulière,  et qu’ils se situent au même niveau que ceux qui le représentent en ce monde ; et, en ce sens, l’Antéchrist sera assurément le plus « illusionné » de tous les êtres. Cette illusion a sa racine dans l’erreur « dualiste » dont nous avons parlé ; et le dualisme, sous une forme ou sous une autre, est le fait de tous ceux dont l’horizon s’arrête à certaines limites, fût-ce celles du monde manifesté tout entier, et qui, ne pouvant ainsi résoudre, en la ramenant à un principe supérieur, la dualité qu’ils constatent en toutes choses  à l’intérieur de ces  limites, la croient vraiment irréductible et sont amenés par là même à la négation de l’Unité suprême,qui en effet est pour eux comme si elle n’était pas. C’est pourquoi nous avons pu dire que les représentants de la « contre-initiation » sont finalement dupes de leur propre rôle, et que leur illusion est même véritablement la pire de toutes, puisque, en définitive, elle est la seule par laquelle un être puisse, non pas être simplement égaré plus ou moins gravement, mais être réellement perdu sans retour ; mais évidemment, s’ils n’avaient pas cette illusion, ils ne rempliraient pas une fonction qui, pourtant, doit nécessairement être remplie comme toute autre pour l’accomplissement même du plan divin en ce monde.
chapitreXL - La fin d'un monde



Revenons à la Maçonnerie. Elle a en effet été déviée:
Il faut à notre avis, prendre en quelque sorte le contre-pied de l’opinion courante, et considérer la  « Maçonnerie spéculative »  comme n’étant, à bien des points de vue, qu’une dégénérescence de la « Maçonnerie opérative ». Cette dernière, en effet, était vraiment complète dans son ordre, possédant à la fois la théorie et la pratique correspondante, et sa désignation peut, sous ce rapport, être entendue comme une allusion aux « opérations » de l’« art sacré », dont la construction selon les règles traditionnelles était une des applications. Quant à la « Maçonnerie spéculative » qui a d’ailleurs pris naissance à un moment où les corporations constructives étaient en pleine décadence, son nom indique assez clairement qu’elle est confinée dans la « spéculation »  pure et simple, c’est-à-dire dans une théorie sans réalisation ; assurément, ce serait se méprendre de la plus étrange façon  que de regarder cela comme un « progrès ». Si encore il n’y avait eu là qu’un amoindrissement, le mal ne serait pas si grand qu’il l’est en réalité ; mais, comme nous l’avons dit déjà à diverses reprises, il y a eu en outre une véritable déviation au début du XVIIIe siècle, lors de la constitution de la Grande Loge d’Angleterre, qui  fut le point de départ de toute la Maçonnerie moderne.
Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, A propos des constructeurs du moyen-âge

Cependant, la déviation n'a pas pu être complète :
« Tout annonce, a dit Joseph de Maistre, que la Franc-Maçonnerie vulgaire est une branche détachée et peut-être corrompue d’une tige ancienne et respectable » (1). C’est bien ainsi qu’il faut envisager la question : on a trop souvent le tort de ne penser qu’à la Maçonnerie moderne, sans réfléchir que celle-ci est simplement le produit d’une déviation, Les premiers responsables de cette déviation, à ce qu’il semble, ce sont les pasteurs protestants, Anderson et Desaguliers, qui rédigèrent les Constitutions de la Grande Loge d’Angleterre, publiées en 1723, et qui firent disparaître tous les anciens documents sur lesquels ils purent mettre la main, pour qu’on ne s’aperçût pas des innovations qu’ils introduisaient, et aussi parce que ces documents contenaient des formules qu’ils estimaient fort gênantes, comme l’obligation de « fidélité à Dieu, à la Sainte Eglise et au Roi », marque incontestable de l’origine catholique de la Maçonnerie (2). Ce travail de déformation, les protestants l’avaient préparé en mettant à profit les quinze années qui s’écoulèrent entre la mort de Christophe Wren, dernier Grand-Maître de la Maçonnerie ancienne (1702), et la fondation de la nouvelle Grande Loge d’Angleterre (1717). Cependant, ils laissèrent subsister le symbolisme, sans se douter que celui-ci, pour quiconque le comprenait, témoignait contre eux aussi éloquemment que les textes écrits, qu’ils n’étaient d’ailleurs pas parvenus à détruire tous. Voilà, très brièvement résumé, ce que devraient savoir tous ceux qui veulent combattre efficacement les tendances de la Maçonnerie actuelle (3).
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1 - Mémoire au duc de Brunswick (1782).
2 - Au cours du XVIIIe siècle, la Maçonnerie écossaise fut un essai de retour à la tradition catholique,
représentée par la dynastie des Stuarts, par opposition à la Maçonnerie anglaise, devenue protestante et dévouée à la Maison d’Orange.
3 - Il y a eu ultérieurement une autre déviation dans les pays latins, celle-ci dans un sens antireligieux, mais c’est sur la « protestantisation » de la Maçonnerie anglo-saxonne qu’il convient d’insister en premier lieu.
Ibid., A propos des signes corporatifs et de leur origine

D'autant que la déviation en question a été corrigée, au moins du point de vue rituélique, par les anciens maçons opératifs :
c’est déjà beaucoup que de conserver scrupuleusement et intégralement le rituel, même sans le comprendre, et cela n’a certes rien d’un « jeu », car il ne s’agit point en ce cas d’une parodie ; mais, si l’initiation, dans ces conditions, demeure simplement virtuelle au lieu d’être effective, c’est précisément en cela que la Maçonnerie moderne n’est plus que « spéculative », c’est-à-dire privée des  « réalisations » que permettait l’ancienne Maçonnerie  « opérative », en partie sans doute parce que celle-ci avait pour base la pratique réelle du métier de constructeur, ce qui va bien plus loin qu’on ne le pense, mais en partie aussi pour d’autres raisons relevant de la  « technique »  initiatique en général, et évidemment tout à fait inaccessibles aux  « esprits distingués »  qui organisèrent la Grande Loge d’Angleterre ; encore est-il fort heureux pour celle-ci qu’il se soit trouvé des Maçons  « opératifs »  qui voulurent bien, un peu plus tard, corriger, au point de vue rituélique tout au moins, les fâcheux effets de l’ignorance de ses fondateurs…
Ibid., comptes rendus d’articles de revues,décembre 1937, sur un article d'Oswald Wirth

La réduction de l'opératif au spéculatif ne veut en effet pas dire que la transmission initiatique ait pour autant été interrompue, (et par là même perdue) :
il s’agit bien d’une organisation initiatique authentique, qui a seulement subi une dégénérescence ;  le début de cette dégénérescence, c’est, comme nous l’avons dit souvent, la transformation de la Maçonnerie opérative en Maçonnerie spéculative, mais on ne peut parler ici de discontinuité : même s’il y eut  « schisme », la filiation n’est pas interrompue pour cela et demeure légitime malgré tout ;  la Maçonnerie n’est pas une organisation fondée au début du XVIIIe siècle, et, au surplus, l’incompréhension de ses adhérents et même de ses dirigeants n’altère en rien la valeur propre des rites et des symboles dont elle demeure la dépositaire.
Ibid., comptes rendus d’articles de revues, juin 1937, à propos d'un article de Julius Evola

Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (numéro de janvier), un article est consacré à l’« âge de la Maçonnerie », ou, pour mieux dire, à montrer que celui-ci est en réalité impossible à déterminer ;  le point de vue des historiens modernes, qui ne veulent pas remonter plus loin que la fondation de la Grande Loge d’Angleterre en 1717, est assurément injustifiable, même en tenant compte de leur parti pris de ne s’appuyer que sur des documents écrits, car il en existe tout de même d’antérieurs à cette date, si rares soient-ils. Il est d’ailleurs à remarquer que ces documents se présentent tous comme des copies d’autres beaucoup plus anciens, et que la Maçonnerie y est toujours donnée comme remontant à une antiquité fort reculée ; que l’organisation maçonnique ait été introduite en Angleterre en 926 ou même en 627, comme ils l’affirment, ce fut déjà, non comme une « nouveauté », mais comme une continuation d’organisations préexistantes en Italie et sans doute ailleurs encore ; et ainsi, même si certaines formes extérieures se sont forcément modifiées suivant les pays et les époques, on peut dire que la Maçonnerie existe vraiment  from time immemorial, ou, en d’autres termes, qu’elle n’a pas de point de départ historiquement assignable.
Ibid., comptes rendus d’articles de revues, mars 1939




3) Perspectives et enjeux

Une restauration serait difficile, mais pas impossible :
Le véritable remède à la dégénérescence actuelle de la Maçonnerie, et sans doute le seul, serait tout autre : ce serait, à supposer que la chose soit encore possible, de changer la mentalité des Maçons, ou tout au moins de ceux d’entre eux qui sont capables de comprendre leur propre initiation, mais à qui, il faut bien le dire, l’occasion n’en a pas été donnée jusqu’ici ;  leur nombre importerait peu d’ailleurs, car, en présence d’un travail sérieux et réellement initiatique, les éléments « non-qualifiés » s’élimineraient bientôt d’eux-mêmes ;  et avec eux disparaîtraient aussi, par la force même des choses, ces agents de la  « contre-initiation »  au rôle desquels nous avons fait allusion dans le passage du Théosophisme  qui est cité  à la fin de l’article, car rien ne pourrait plus donner prise à leur action. Pour opérer  « un redressement de la Maçonnerie dans le sens traditionnel », il ne s’agit pas de « viser la lune », quoi qu’en dise « Inturbidus », ni de bâtir dans les nuées ;  il s’agirait seulement d’utiliser les possibilités dont on dispose, si réduites qu’elles puissent être pour commencer ;  mais, à une époque comme la nôtre, qui osera entreprendre une pareille œuvre ?
Ibid., comptes rendus d’articles de revues, novembre 1935

Sans doute la Maçonnerie de la fin du XVIIIe siècle n’avait-elle déjà plus en elle ce qu’il fallait pour accomplir ce  « Grand Œuvre », dont certaines conditions échappaient d’ailleurs très probablement à Joseph de Maistre lui-même ; est-ce à dire qu’un tel plan ne pourra jamais être repris sous une forme ou sous une autre, par quelque organisation ayant un caractère vraiment initiatique et possédant le  « fil d’Ariane »  qui lui permettrait de se guider dans le labyrinthe des formes innombrables sous lesquelles est cachée la Tradition unique, pour retrouver enfin la « Parole perdue »  et faire sortir  « la Lumière des Ténèbres, l’Ordre du Chaos » ? Nous ne voulons aucunement préjuger de l’avenir, mais certains signes permettent de penser que, malgré les apparences défavorables du monde actuel, la chose n’est peut-être pas tout à fait impossible ; et nous terminerons en citant une phrase quelque peu prophétique qui est encore de Joseph de Maistre, dans le IIe entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg :  « Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l’ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Des oracles redoutables annoncent déjà que  les temps sont arrivés. »
Ibid., Un projet de Joseph de Maistre pour l'union des peuples

En tous cas, ce retour à l'opérativité n'aurait rien à voir avec un retour au travail manuel :
Il ne faut pas oublier, en effet, que « spéculation » et « théorie » sont synonymes; et il est bien entendu que le mot « théorie » ne doit pas être pris ici dans son sens originel de « contemplation », mais uniquement dans celui qu’il a toujours dans le langage actuel, et que le mot « spéculation » exprime sans doute plus nettement, puisqu’il donne, par sa dérivation même, l’idée de quelque chose qui n’est qu’un « reflet », comme l’image vue dans un miroir (1), c’est-à-dire une connaissance indirecte, par opposition à la connaissance effective qui est la conséquence immédiate de la « réalisation », ou qui plutôt ne fait qu’un avec celle-ci. D’un autre côté, le mot « opératif » ne doit pas être considéré exactement comme un équivalent de « pratique », en tant que ce dernier terme se rapporte toujours à l’« action » (ce qui est d’ailleurs strictement conforme à son étymologie), de sorte qu’il ne saurait être employé ici sans équivoque ni impropriété (2) ; en réalité, il s’agit de cet « accomplissement » de l’être qu’est la « réalisation » initiatique, avec tout l’ensemble des moyens de divers ordres qui peuvent être employés en vue de cette fin ; et il n’est pas sans intérêt de remarquer qu’un mot de même origine, celui d’« oeuvre », est aussi usité précisément en ce sens dans la terminologie alchimique.
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1 - Le mot speculum, en latin, signifie en effet « miroir ».

2 - Il y a là, en somme, toute la différence qui existe en grec entre les sens respectifs des deux mots praxis et poêsis.
Aperçus sur l'Initiation, chapitre XXIX - « opératif » et « spéculatif »


Le rôle que Guénon assigne à la Maçonnerie dans les temps à venir est loin d'être négligeable :
Le plan général de l’ouvrage dans lequel elle devrait entrer exigeait sans doute que la Maçonnerie y fut présentée comme une sorte de « religion », alors qu’elle est pourtant tout autre chose en réalité, et cela implique forcément une certaine confusion entre les deux domaines exotérique et ésotérique. Nous ne croyons d’ailleurs pas que ce soit uniquement pour cette raison que l’auteur prend un peu trop facilement son parti des infiltrations de l’esprit profane qui se produisirent à partir de 1717 ; se rend-il suffisamment compte que des influences de ce genre ne pourraient aucunement s’exercer dans une organisation initiatique qui serait restée tout ce qu’elle doit être vraiment ? Quoi qu’il en soit, il faut le louer de ne pas déprécier outre mesure, comme le font tant d’autres, l’ancienne Maçonnerie opérative ; seulement, quand il estime que, dès le XVIIe siècle, celle-ci était déjà réduite à presque rien et tombée entre les mains d’une majorité de Maçons « acceptés » qui auraient préparé les voies à sa transformation en Maçonnerie spéculative, il y a bien des raisons de douter de l’exactitude de telles suppositions… [...] Il reconnaît nettement, d’autre part, que l’intrusion de la politique dans les temps postérieurs, quelles que soient les raisons qui peuvent l’expliquer en fait, ne saurait être regardée que comme une déviation « vers des buts trop terrestres » ; mais il semble espérer qu’un redressement à cet égard est toujours possible, et, assurément, nul ne souhaite plus que nous qu’il en soit ainsi. Quant à sa conclusion, où la Maçonnerie est envisagée comme pouvant devenir la « future citadelle des religions », beaucoup penseront probablement que ce n’est là qu’un beau rêve ; pour notre part, nous dirions plutôt que ce rôle n’est pas tout à fait celui d’une organisation initiatique qui se tiendrait strictement dans son domaine propre, et que, si celle-ci peut réellement « venir au secours des religions » dans une période d’obscuration spirituelle presque complète, c’est d’une façon assez différente de celle-là, mais qui du reste, pour être moins apparente extérieurement, n’en serait cependant que d’autant plus efficace.
Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, comptes rendus de livres, septembre 1947, Albert Lantoine – La Franc-Maçonnerie

Même si les chances d'un retour à l'opératif semblent faibles, la seule conservation en l'état de la Maçonnerie est en effet cruciale. Concernant les nombreux héritages que la maçonnerie a recueilli de formes traditionnelles éteintes :
il y aurait certainement beaucoup à dire sur ce rôle « conservateur » de la Maçonnerie et sur la possibilité qu’il lui donne de suppléer dans une certaine mesure à l’absence d’initiations d’un autre ordre dans le monde occidental actuel ;
Ibid., Parole perdue et mots substitués

et la Maçonnerie elle-même a-t-elle une origine unique, ou n’a-t-elle pas plutôt recueilli, dès le moyen âge, l’héritage de multiples organisations antérieures ?
Ibid., comptes rendus d’articles de revues, décembre 1932


Ce sujet est en réalité très grave. Réclamer la destruction de la Franc-Maçonnerie, c'est appeler à livrer à la contre-tradition les résidus psychiques d'une forme traditionnelle éteinte, qui seraient ensuite à la pleine disposition des contre-initiés pour faire sombrer encore plus profond le monde dans le chaos :
Pour comprendre ce que nous avons dit en dernier lieu à propos du « chamanisme », et qui est en somme la raison principale pour laquelle nous en avons donné ici cet aperçu, il faut remarquer que ce cas des vestiges qui subsistent d’une tradition dégénérée et dont la partie supérieure ou « spirituelle » a disparu est, au fond, tout à fait comparable à celui des restes psychiques qu’un être humain laisse derrière lui en passant à un autre état, et qui, dès qu’ils ont été ainsi abandonnés par l’« esprit », peuvent aussi servir à n’importe quoi ; qu’ils soient d’ailleurs utilisés consciemment par un magicien ou un sorcier, ou inconsciemment par des spirites, les effets plus ou moins maléfiques qui peuvent en résulter n’ont évidemment rien à voir avec la qualité propre de l’être auquel ces éléments ont appartenu antérieurement ; ce n’est plus qu’une catégorie spéciale d’« influences errantes », suivant l’expression employée par la tradition extrême-orientale, qui n’ont gardé tout au plus de cet être qu’une apparence purement illusoire. Ce dont il faut se rendre compte pour bien comprendre une telle similitude, c’est que les influences spirituelles elles-mêmes, pour entrer en action dans notre monde, doivent nécessairement prendre des « supports » appropriés, d’abord dans l’ordre psychique, puis dans l’ordre corporel lui-même, si bien qu’il y a là quelque chose d’analogue à la constitution d’un être humain. Si ces influences spirituelles se retirent par la suite, pour une raison quelconque, leurs anciens « supports » corporels, lieux ou objets (et, quand il s’agit de lieux, leur situation est naturellement en rapport avec la « géographie sacrée » dont nous avons parlé plus haut), n’en demeureront pas moins chargés d’éléments psychiques, et qui seront même d’autant plus forts et plus persistants qu’ils auront servi d’intermédiaires et d’instruments à une action plus puissante. On pourrait logiquement conclure de là que le cas où il s’agit de centres traditionnels et initiatiques importants, éteints depuis un temps plus ou moins long, est en somme celui qui présente les plus grands dangers à cet égard, soit que de simples imprudents provoquent des réactions violentes des « conglomérats » psychiques qui y subsistent, soit surtout que des « magiciens noirs », pour employer l’expression couramment admise, s’emparent de ceux-ci pour les manœuvrer à leur gré et en obtenir des effets conformes à leurs desseins. [...]

Une tradition qui est ainsi déviée est véritablement morte comme telle, tout autant que celle pour laquelle il n’existe plus aucune apparence de continuation ; d’ailleurs, si elle était encore vivante, si peu que ce fût, une pareille « subversion », qui n’est en somme pas autre chose qu’un retournement de ce qui en subsiste pour le faire servir dans un sens antitraditionnel par définition même, ne pourrait évidemment avoir lieu en aucune façon. Il convient cependant d’ajouter que, avant même que les choses en soient à ce point, et dès que des organisations traditionnelles sont assez amoindries et affaiblies pour ne plus être capables d’une résistance suffisante, des agents plus ou moins directs de l’« adversaire » (1) peuvent déjà s’y introduire pour travailler à hâter le moment où la « subversion » deviendra possible ; il n’est pas certain qu’ils y réussissent dans tous les cas, car tout ce qui a encore quelque vie peut toujours se ressaisir ; mais, si la mort se produit, l’ennemi se trouvera ainsi dans la place, pourrait-on dire, tout prêt à en tirer parti et à utiliser aussitôt le « cadavre » à ses propres fins. Les représentants de tout ce qui, dans le monde occidental, possède encore actuellement un caractère traditionnel authentique, tant dans le domaine exotérique que dans le domaine initiatique, auraient, pensons-nous, le plus grand intérêt à faire leur profit de cette dernière observation pendant qu’il en est temps encore, car, autour d’eux, les signes menaçants que constituent les « infiltrations » de ce genre ne font malheureusement pas défaut pour qui sait les apercevoir.

[...] Il y a là, pourrait-on dire, une sorte de « nécromancie » qui met en œuvre des restes psychiques tout autres que ceux des individualités humaines, et ce n’est assurément pas la moins redoutable, car elle a par là des possibilités d’action bien autrement étendues que celles de la vulgaire sorcellerie, et il n’y a même aucune comparaison possible sous ce rapport ; il faut d’ailleurs, au point où en sont les choses aujourd’hui, que nos contemporains soient vraiment bien aveugles pour n’en avoir pas même le moindre soupçon !
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1 - On sait qu’« adversaire » est le sens littéral du mot hébreu Shatan, et il s’agit en effet ici de « puissances » dont le caractère est bien véritablement « satanique ».
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chapitre XXVIII - Résidus psychiques



Concluons cette partie par une citation qui ne laisse pas d'ambiguïté quant à la position de René Guénon sur la Franc-Maçonnerie :

René Guénon :
Dans le numéro de septembre, Jules Boucher parle De l’Initiation dans un article qui témoigne d’un assez fâcheux pessimisme ; il n’a pas tort, assurément, de dénoncer les méfaits du rationalisme et de déplorer la banalité de certaines « spéculations » qui n’ont rien d’initiatique ; mais il paraît méconnaître totalement la valeur propre de l’initiation virtuelle, et il termine ainsi : « Est-il possible de s’opposer à la décadence de la Maçonnerie ? Il faudrait pour cela retrouver la « Parole perdue », et il nous semble bien que cette Parole (ce Verbe initiatique) est à jamais perdue. » Cet article est suivi d’une réponse de Marius Lepage qui remet très bien les choses au point, et dont nous citerons ces quelques extraits : « Nous vivons des années d’obscuration accélérée de tous les principes spirituels qui ont, jusqu’à ce jour, soutenu la substance du monde ; ce monde va bientôt s’écrouler… l’incompréhension des hommes en face de l’expression humaine du sacré est bien le signe le plus marquant de la proximité de la fin des temps. Pourquoi vous en affliger ? Ce qui est doit être, et toutes choses concourent à leur fin. La décadence apparente de toutes les organisations initiatiques n’est que l’effet de la corruption des hommes, de plus en plus éloignés du Principe. En quoi cela peut-il nous intéresser si nous sommes assurés que cette fin d’un monde s’intègre dans l’harmonie universelle et si nous avons bien compris l’enseignement de la Chambre du Milieu ?… C’est au sein des organisations initiatiques, en dépit de leurs déviations et de leur altération, que se retrouveront les derniers témoins de l’Esprit, ceux par qui la Lettre sera conservée et transmise aux adeptes qui recevront la charge de la faire connaître aux hommes d’un autre cycle. C’est aussi pourquoi nous ne devons pas désespérer; savons-nous quand et comment les paroles que nous prononçons ébranleront chez quelqu’un de nos Frères les centres subtils, et feront de lui un gardien de la tradition ? »
Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, comptes rendus d'articles de revues, juillet-août 1947


Passons à la P2, que LLP identifie à la Maçonnerie.




4) La loge P2

A ce sujet, LLP évoque principalement ce livre :



David Yallop, Au nom de Dieu (a-t-on tué le pape Jean Paul 1er ?).
Ce livre est disponible en téléchargement ici :


Voyons ce que dit l'auteur, David Yallop, au sujet de la Franc-Maçonnerie :
Pourtant, de l'explication réelle on ne parlerait pas, ni dans la presse ni sur les ondes — il s'agissait du dénominateur commun, du fait qui unissait chacun de ces hommes sur le point d'être remplacés. Villot le connaissait. Plus important encore, le pape aussi. C'était l'un des facteurs qui l'avaient poussé à agir : ôter à ces hommes tout pouvoir réel pour leur confier des postes relativement inoffensifs. Il s'agissait de la Franc-Maçonnerie. 

Ce n'est pas la Franc-Maçonnerie conventionnelle qui inquiétait le Pape, bien que l’Église considérât qu'en être membre constituait une cause d'excommunication automatique. Il était préoccupé par une loge maçonnique illégale qui avait essaimé bien au-delà de l'Italie dans sa recherche des richesses et du pouvoir. Elle se donnait le nom de P2.
Au nom de Dieu (a-t-on tué le pape Jean Paul 1er ?), p. 12

Licio Gelli
David Yallop :
Tandis que Sindona s'élevait dans les jungles financières de l'après-guerre milanaise, Gelli grimpait dans les cercles, du pouvoir compliqués de la politique sud-américaine. Un général par-ci, un amiral par-là, des politiciens, des hauts fonctionnaires. Tandis que Sindona cultivait ses relations en croyant que le pouvoir réside dans l'argent, Gelli, grâce à ses nouveaux amis, aspirait à la source du pouvoir réel : les renseignements. Des informations, un dossier personnel sur tel ou tel banquier, le dossier secret sur tel ou tel politicien, son réseau passait de l'Argentine au Paraguay, s'étendait au Brésil, à la Bolivie, à la Colombie, au Venezuela, et au Nicaragua. En Argentine, il acquit la double nationalité et devint le conseiller économique de ce pays en Italie en 1972. Une de ses principales activités consistait à négocier et à conclure l'achat de quantités d'armes pour l'Argentine. Cela comprenait des chars, des navires, des avions, des installations radar et finalement les missiles Exocet si meurtriers pendant la guerre des Malouines. Avant cela, il occupa des postes moins exaltants. En Italie, il fut Directeur Général de Permaflex, société qui fabriquait des matelas, et passa une brève période à la tête de Remington Rand en Toscane. Parmi les directeurs inscrits à l'époque sur les listes du conseil de Remington Rand, on trouve Michele Sindona.

Toujours avide d'augmenter son pouvoir et son influence, il songea que le mouvement maçonnique réhabilité constituait le véhicule parfait. Ironie de l'histoire, c'est son chef bien-aimé Mussolini qui avait interdit la Franc-Maçonnerie. Mussolini considérait qu'elle était « un Etat dans l'Etat ». Il est tout aussi plaisant de constater que le gouvernement démocratique italien, que Gelli méprisait tant, restaura la liberté maçonnique, tout en conservant un aspect du droit fasciste qui faisait de la création d'une organisation secrète un délit punissable. En conséquence, les Maçons réformés étaient obligés de déposer la liste de leurs membres auprès de l'administration.

Gelli entra dans une Loge Maçonnique conventionnelle en novembre 1963. Il atteignit rapidement le troisième degré, ce qui le rendait éligible pour diriger une Loge. Le Grand Maître de l'époque Giordano Gamberini encouragea Gelli à former un cercle de gens importants, dont certains pourraient éventuellement devenir Maçons mais dont tous pourraient se révéler utiles au développement d'une Franc-Maçonnerie légitime. Gelli sauta sur l'occasion. Et ce qu'il conçut en fait fut une organisation secrète et illégale. Ce groupe reçut le nom de Raggruppamento Gelli P2. Le P signifiait Propaganda, nom d'une Loge historique du xixe siècle. Au départ, il y amena des officiers supérieurs en retraite. A travers eux il obtint ses entrées auprès des chefs de l'active. Il tissait une toile qui devait progressivement recouvrir l'entière structure du pouvoir en Italie. Il abandonna très vite les idéaux et les aspirations de la vraie Franc-Maçonnerie, mais pas officiellement. Le but de Gelli n'avait rien à voir : il voulait que l'extrême droite dirige l'Italie. Mais cette direction devait prendre la forme d'un Etat secret dans l'Etat, à moins que l'inconcevable se produise et que les communistes soient élus au gouvernement. Si cela arrivait, il y aurait un coup d'Etat. L'extrême droite prendrait le pouvoir. Gelli pensait que les pays occidentaux accepteraient la situation. De fait, au début de la formation de P2 il reçut un soutien actif et les encouragements de la C.I.A. qui opérait en Italie. Si cela donne l'impression d'un scénario de fou condamné au sort de tous les projets du même ordre, on devra remarquer que parmi les membres de P2, uniquement en Italie (il existait, et existe encore des branches puissantes dans d'autres pays), on trouve le Commandant des Forces Armées Giovanni Torrisi, les chefs des services secrets, les généraux Giuseppe Santovito et Giulio Grassini, le chef de la Police Financière Italienne Orazio Giannini, des ministres du gouvernement et des politiciens de toutes les couleurs (hormis, évidemment, des communistes), trente généraux, huit amiraux, des directeurs de journaux, des patrons de télévision, de grands industriels et des banquiers, dont Roberto Calvi et Michele Sindona. Au contraire de la Franc-Maçonnerie conventionnelle, la liste des membres de P2 était tellement secrète que seul Gelli en connaissait tous les noms.
Ibid., pp. 152 à 154

David Yallop est totalement en accord avec ce que dit Guénon dans un extrait déjà cité :

René Guénon :
Quant à la Maçonnerie, nous étonnerons peut-être beaucoup les auteurs si nous disons que l’infiltration des idées modernes, au détriment de l’esprit initiatique, en a fait, non point un des agents de la « conspiration », mais au contraire une de ses premières victimes ; et cependant, en réfléchissant à certains efforts actuels de « démocratisation » du Catholicisme lui-même, qui ne leur ont certainement pas échappé, ils devraient pouvoir arriver, par analogie, à comprendre ce que nous entendons par là… Et oserons-nous ajouter qu’une certaine volonté d’égarer les recherches, en suscitant et en entretenant diverses « hantises » (peu importe que ce soit celle de la Maçonnerie, des Juifs, des Jésuites, du « péril jaune », ou quelque autre encore), fait précisément aussi partie intégrante du « plan » qu’ils se proposent de dénoncer, et que les « dessous » réels de certaines équipés antimaçonniques sont tout particulièrement instructifs à cet égard ? Nous ne savons que trop bien que, en insistant là-dessus, on risque fort de n’être agréable à personne, de quelque côté que ce soit ; mais est-ce là une raison suffisante pour ne point dire la vérité ?
Etudes sur la Franc-Maçonnerie, Comptes rendus de livres, juillet 1936, Emmanuel Malynski et Léon de Poncins – La Guerre occulte

LLP a-t-il vraiment lu ce livre ???





5) La révolution


LLP :
La monarchie est tombée à cause de la maçonnerie.

René Guénon :
Un autre collaborateur fait remarquer avec beaucoup de raison que rien n’est plus faux que l’affirmation courante suivant laquelle « les révolutions sont faites par les peuples »; seulement, il ne paraît pas avoir une idée très nette de la distinction existant entre les organisations initiatiques et les « sociétés secrètes » à caractère plus ou moins politique;
Comptes Rendus, mai 1945, à propos d’un article d’Atlantis.

On peut voir, à la lecture de différents comptes rendus de livres regroupés dans les Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, que Guénon a démenti cette affirmation à plusieurs reprises :
Albert Lantoine – La Franc-Maçonnerie
Il fait notamment justice, d’excellente façon, de la légende trop répandue sur le rôle que la Maçonnerie française du XVIIIe siècle aurait joué dans la préparation de la Révolution et au cours même de celle-ci, légende qui fut d’abord lancée par des adversaires de la Maçonnerie, mais ensuite admise, et peut-être même encore amplifiée, par des Maçons trop affectés par l’esprit moderne.
Septembre 1947

Maurice Favone – Les disciples d’Hiram en province : La Franc-Maçonnerie dans la Marche
Une autre vue beaucoup plus juste est celle qui se rapporte au rôle de la Maçonnerie au XVIIIe siècle : ses recherches l’ont convaincu qu’elle n’a nullement préparé la Révolution, contrairement à la légende propagé d’abord par les antimaçons, puis par certains Maçons eux-mêmes ; seulement, ce n’est point une raison pour conclure que « la Révolution est l’œuvre du peuple », ce qui est de la plus parfaite invraisemblance ; elle ne s’est certes pas faite toute seule, bien que ce qui l’a faite ne soit pas la Maçonnerie, et nous ne comprenons même pas comment il est possible, à qui réfléchit tant soit peu, d’ajouter foi à la duperie « démocratique » des révolutions spontanées…
Avril 1937

Albert Lantoine – Histoire de la Franc-Maçonnerie française : La Franc-Maçonnerie dans l’État 
Ce livre fait suite à un premier volume intitulé La Franc-Maçonnerie chez elle, paru il y a une dizaine d’années, mais il peut aussi fort bien se lire séparément. L’auteur, en y étudiant les rapports qu’a eut la Maçonnerie avec les divers gouvernements qui se sont succédés en France depuis Louis XV jusqu’à la troisième République, fait preuve d’une remarquable impartialité, et cette qualité est d’autant plus louable qu’elle se rencontre plus rarement quand il s’agit d’un pareil sujet, qui n’est généralement traité qu’avec un parti-pris fortement accentué dans un sens ou dans l’autre. Aussi lui arrivera-t-il sans doute de déplaire à la fois à la plupart des Maçons et à leurs adversaires, par exemple lorsqu’il démolit la légende qui veut que la Maçonnerie ait joué un rôle considérable dans la préparation de la Révolution, car, chose curieuse cette légende, qui doit sa naissance à des écrivains antimaçonniques tels que l’abbé Barruel, a fini par être adoptée, beaucoup plus tard, par les Maçons eux-mêmes. A ce propos, il est à remarquer que, parmi les personnages du XVIIIe siècle qui sont communément regardés comme ayant été rattachés à la Maçonnerie, il en est beaucoup pour lesquels il n’y a pas le moindre indice sérieux qu’ils l’aient jamais été réellement ; c’est le cas, entre autres, de la très grande majorité des Encyclopédistes. 
Juillet 1936

Au passage, ces dernières lignes répondent clairement à l'amalgame suivant (on passera sur la revendication de mettre la science moderne et le spirituel au même niveau) :
LLP :
nombre d’églises profanées … au seul nom de la raison scientiste maçonnique. Ce qu’ont oublié de dire les encyclopédistes, c’est la compatibilité complète entre science et spiritualité.

De plus, dénoncer les encyclopédistes, c'est encore faire une confusion entre la véritable contre-tradition et les acteurs apparents, qui sont de simples suggestionnés, et qui ne suffisent pas du tout en eux-mêmes à expliquer le cours des évènements:

René Guénon :
De toutes les superstitions prêchées par ceux-là mêmes qui font profession de déclamer à tout propos contre la « superstition », celle de la « science » et de la « raison » est la seule qui ne semble pas, à première vue, reposer sur une base sentimentale ; mais il y a parfois un rationalisme qui n’est que du sentimentalisme déguisé, comme ne le prouve que trop la passion qu’y apportent ses partisans, la haine dont ils témoignent contre tout ce qui contrarie leurs tendances ou dépasse leur compréhension. D’ailleurs, en tout cas, le rationalisme correspondant à un amoindrissement de l’intellectualité, il est naturel que son développement aille de pair avec celui du sentimentalisme, ainsi que nous l’avons expliqué au chapitre précédent ; seulement, chacune de ces deux tendances peut être représentée plus spécialement par certaines individualités ou par certains courants de pensée, et, en raison des expressions plus ou moins exclusives et systématiques qu’elles sont amenées à revêtir, il peut même y avoir entre elles des conflits apparents qui dissimulent leur solidarité profonde aux yeux des observateurs superficiels. Le rationalisme moderne commence en somme à Descartes (il avait même eu quelques précurseurs au XVIe siècle), et l’on peut suivre sa trace à travers toute la philosophie moderne, non moins que dans le domaine proprement scientifique ; la réaction actuelle de l’intuitionnisme et du pragmatisme contre ce rationalisme nous fournit l’exemple d’un de ces conflits, et nous avons vu cependant que Bergson acceptait parfaitement la définition cartésienne de l’intelligence ; ce n’est pas la nature de celle-ci qui est mise en question, mais seulement sa suprématie. Au XVIIIe siècle, il y eut aussi antagonisme entre le rationalisme des encyclopédistes et le sentimentalisme de Rousseau ; et pourtant l’un et l’autre servirent également à la préparation du mouvement révolutionnaire, ce qui montre qu’ils rentraient bien dans l’unité négative de l’esprit antitraditionnel. Si nous rapprochons cet exemple du précédent, ce n’est pas que nous prêtions à Bergson aucune arrière-pensée politique ; mais nous ne pouvons nous empêcher de songer à l’utilisation de ses idées dans certains milieux syndicalistes, surtout en Angleterre, tandis que, dans d’autres milieux du même genre, l’esprit « scientiste » est plus que jamais en honneur. Au fond, il semble qu’une des grandes habiletés des « dirigeants » de la mentalité moderne consiste à favoriser alternativement ou simultanément l’une et l’autre des deux tendances en question suivant l’opportunité, à établir entre elles une sorte de dosage, par un jeu d’équilibre qui répond à des préoccupations assurément plus politiques qu’intellectuelles ; cette habileté, du reste, peut n’être pas toujours voulue, et nous n’entendons mettre en doute la sincérité d’aucun savant, historien ou philosophe ; mais ceux-ci ne sont souvent que des « dirigeants » apparents, et ils peuvent être eux-mêmes dirigés ou influencés sans s’en apercevoir le moins du monde. De plus, l’usage qui est fait de leurs idées ne répond pas toujours à leurs propres intentions, et on aurait tort de les en rendre directement responsables ou de leur faire grief de n’avoir pas prévu certaines conséquences plus ou moins lointaines ; mais il suffit que ces idées soient conformes à l’une ou à l’autre des deux tendances dont nous parlons pour qu’elles soient utilisables dans le sens que nous venons de dire ; et, étant donné l’état d’anarchie intellectuelle dans lequel est plongé l’Occident, tout se passe comme s’il s’agissait de tirer du désordre même, et de tout ce qui s’agite dans le chaos, tout le parti possible pour la réalisation d’un plan rigoureusement déterminé. Nous ne voulons pas insister là-dessus outre mesure, mais il nous est bien difficile de ne pas y revenir de temps à autre, car nous ne pouvons admettre qu’une race tout entière soit purement et simplement frappée d’une sorte de folie qui dure depuis plusieurs siècles, et il faut bien qu’il y ait quelque chose qui donne, malgré tout, une signification à la civilisation moderne ; nous ne croyons pas au hasard, et nous sommes persuadé que tout ce qui existe doit avoir une cause ; libre à ceux qui sont d’un autre avis de laisser de côté cet ordre de considérations.
Orient et Occident, partie 1, chapitre II – La superstition de la science



Ce qu'il y a en réalité derrière la révolution :
Il est trop évident que le peuple ne peut conférer un pouvoir qu'il ne possède pas lui-même ; le pouvoir véritable ne peut venir que d'en haut, et c'est pourquoi, disons-le en passant, il ne peut être légitimé que par la sanction de quelque chose de supérieur à l'ordre social, c'est-à-dire d'une autorité spirituelle; s'il en est autrement, ce n'est plus qu'une contrefaçon de pouvoir, un état de fait qui est injustifiable par défaut de principe, et où, il ne peut y avoir que désordre et confusion. Ce renversement de toute hiérarchie commence dès que le pouvoir temporel veut se rendre indépendant de l'autorité spirituelle, puis se la subordonner en prétendant la faire servir à des fins politiques ; il y a là une première usurpation qui ouvre la voie à toutes les autres, et l'on pourrait ainsi montrer que, par exemple, la royauté française, depuis le XIVe siècle, a travaillé elle-même inconsciemment à préparer la Révolution qui devait la renverser ;
La Crise du Monde Moderne, chapitre VI – le chaos social


Mais revenons à Philippe le Bel, qui nous fournit un exemple particulièrement typique pour ce que nous nous proposons d’expliquer ici : il est à remarquer que Dante attribue comme mobile à ses actions la « cupidité » (1), qui est un vice, non de Kshatriya. mais de Vaishya ; on pourrait dire que les Kshatriyas, dès qu’ils se mettent en état de révolte, se dégradent en quelque sorte et perdent leur caractère propre pour prendre celui d’une caste inférieure. On pourrait même ajouter que cette dégradation doit inévitablement accompagner la perte de la légitimité : si les Kshatriyas sont, par leur faute, déchus de leur droit normal à l’exercice du pouvoir temporel, c’est qu’ils ne sont pas de vrais Kshatriyas, nous voulons dire que leur nature n’est plus telle qu’elle les rende aptes à remplir ce qui était leur fonction propre. Si le roi ne se contente plus d’être le premier des Kshatriyas, c’est-à-dire le chef de la noblesse, et de jouer le rôle « régulateur » qui lui appartient à ce titre, il perd ce qui fait sa raison d’être essentielle, et, en même temps, il se met en opposition avec cette noblesse dont il n’était que l’émanation et comme l’expression la plus achevée. C’est ainsi que nous voyons la royauté, pour « centraliser » et absorber en elle les pouvoirs qui appartiennent collectivement à la noblesse tout entière, entrer en lutte avec celle-ci et travailler avec acharnement à la destruction de la féodalité, dont pourtant elle était issue ; elle ne pouvait d’ailleurs le faire qu’en s’appuyant sur le tiers-état, qui correspond aux Vaishyas ; et c’est pourquoi nous voyons aussi, à partir de Philippe le Bel précisément, les rois de France s’entourer presque constamment de bourgeois, surtout ceux qui, comme Louis XI et Louis XIV, ont poussé le plus loin le travail de « centralisation », dont la bourgeoisie devait du reste recueillir ensuite le bénéfice lorsqu’elle s’empara du pouvoir par la Révolution.

La « centralisation » temporelle est d’ailleurs généralement la marque d’une opposition vis-à-vis de l’autorité spirituelle, dont les gouvernements s’efforcent de neutraliser ainsi l’influence pour y substituer la leur ; c’est pourquoi la forme féodale, qui est celle où les Kshatriyas peuvent exercer le plus complètement leurs fonctions normales, est en même temps celle qui parait convenir le mieux à l’organisation régulière des civilisations traditionnelles, comme l’était celle du moyen âge. L’époque moderne, qui est celle de la rupture avec la tradition, pourrait, sous le rapport politique, être caractérisée par la substitution du système national au système féodal ; et c’est au XIVème siècle que les « nationalités » commencèrent à se constituer, par ce travail de « centralisation » dont nous venons de parler. On a raison de dire que la formation de la « nation française », en particulier, fut l’œuvre des rois ; mais ceux-ci, par la même, préparaient sans le savoir leur propre ruine (2) ; et, si la France fut le premier pays d’Europe où la royauté fut abolie, c’est parce que c’est en France que la « nationalisation » avait eu son point de départ. D’ailleurs, il est à peine besoin de rappeler combien la Révolution fut farouchement « nationaliste » et « centralisatrice », et aussi quel usage proprement révolutionnaire fut fait, durant tout le cours du XIXème siècle, du soi-disant « principe des nationalités » (3) ; il y a donc une assez singulière contradiction dans le « nationalisme » qu’affichent aujourd’hui certains adversaires déclarés de la Révolution et de son œuvre. Mais le point le plus intéressant pour nous présentement est celui-ci : la formation des « nationalités » est essentiellement un des épisodes de la lutte du temporel contre le spirituel ; et, si l’on veut aller au fond des choses, on peut dire que c’est précisément pour cela qu’elle fut fatale à la royauté, qui, alors même qu’elle semblait réaliser toutes ses ambitions, ne faisait que courir à sa perte (4).

[…]

D’après ce qui vient d’être exposé, la royauté française, sans aller jusqu’à une rupture aussi manifeste avec l’autorité spirituelle, avait en somme, par d’autres moyens plus détournés, agi exactement de la même façon, et même il semble bien qu’elle avait été la première à s’engager dans cette voie ; ceux de ses partisans qui lui en font une sorte de gloire ne paraissent guère se rendre compte des conséquences que cette attitude a entraînées et qu’elle ne pouvait pas ne pas entraîner. La vérité est que c’est la royauté qui, par là, ouvrit inconsciemment le chemin à la Révolution, et que celle-ci, en la détruisant, ne fit qu’aller plus loin dans le sens du désordre où elle-même avait commencé à s’engager. 

[…]

la révolution qui renverse la royauté est à la fois la conséquence logique et le châtiment, c’est-à-dire la compensation, de la révolte antérieure de cette même royauté contre l’autorité spirituelle. La loi est niée dès lors qu’on nie le principe même dont elle émane ; mais ses négateurs n’ont pu la supprimer réellement, et elle se retourne contre eux ; c’est ainsi que le désordre doit rentrer finalement dans l’ordre, auquel rien ne saurait s’opposer, si ce n’est en apparence seulement et d’une façon tout illusoire.
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1 - C’est par là que s’explique, non seulement la destruction de l’Ordre du Temple, mais aussi, plus visiblement encore, ce qu’on a appelé l’altération des monnaies, et ces deux faits sont peut-être liés plus étroitement qu’on ne pourrait le supposer à première vue ; en tous cas, si les contemporains de Philippe le Bel lui firent un crime de cette altération, il faut en conclure que, en changeant de sa propre initiative le titre de la monnaie, il dépassait les droits reconnus au pouvoir royal. Il y a là une indication qui est à retenir, car cette question de la monnaie avait, dans l’antiquité et au moyen âge, des aspects tout à fait ignorés des modernes, qui s’en tiennent au simple point de vue « économique » ; c’est ainsi qu’on a remarqué que, chez les Celtes, les symboles figurant sur les monnaies ne peuvent s’expliquer que si on les rapporte à des connaissances doctrinales qui étaient propres aux Druides, ce qui implique une intervention directe de ceux-ci dans ce domaine ; et ce contrôle de l’autorité spirituelle a dû se perpétuer jusque vers la fin du moyen âge.

2 - A la lutte de la royauté contre la noblesse féodale, on peut appliquer strictement cette parole de l’Evangile : « Toute maison divisée contre elle-même périra ».

3 - Il y a lieu de remarquer que ce « principe des nationalités » fut surtout exploité contre la Papauté et contre l’Autriche, qui représentait le dernier reste du Saint-Empire.

4 - Là où la royauté a pu se maintenir en devenant « constitutionnelle », elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et n’a guère qu’une existence nominale et « représentative », comme l’exprime la formule connue d’après laquelle « le roi règne, mais ne gouverne pas » ; ce n’est véritablement qu’une caricature de l’ancienne royauté.
Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel, chapitre VII – Les usurpations de la royauté et ses conséquences




6) L'Islam et la Franc-Maçonnerie


LLP :
- qu’en est-il de la franc-maçonnerie en Islam : chute du Kalhifa en Turquie.
- En Turquie, il y a de la Franc-Maçonnerie très puissante et très cachée, par exemple le Rotary club, et le Lion's club.

Depuis quand le Rotary club ou le Lion's club sont-ils maçonniques ? On continue dans les délires.

Quant à accuser la Franc-Maçonnerie des attaques contre l'Islam en Turquie, elle est vraiment suspecte, parce qu'elle cache les véritables responsables, et égare les recherches que pourraient vouloir mener les personnes de bonne foi.


René Guénon :
Il faut ajouter que, dans l’Occident, nous comprenons aussi le judaïsme, qui n’a jamais exercé d’influence que de ce côté, et dont l’action n’a même peut-être pas été tout à fait étrangère à la formation de la mentalité moderne en général ; et, précisément, le rôle prépondérant joué dans le bolchevisme par les éléments israélites est pour les Orientaux, et surtout pour les Musulmans, un grave motif de se méfier et de se tenir à l’écart ; nous ne parlons pas de quelques agitateurs du type « jeune-turc », qui sont foncièrement antimusulmans, souvent aussi israélites d’origine, et qui n’ont pas la moindre autorité.
Orient et Occident, partie 1, chapitre IV - Terreurs chimériques et dangers réels


Les "jeunes turcs" étaient des donmeh, adorateurs de Sabbataï Tsevi, déjà évoqués ici :
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.com/2011/06/mise-au-point-sur-la-contre-tradition-2.html

Ces "jeunes turcs", tels qu'un de leurs chefs, Talaat Pacha, faisaient partie d'une branche déviée de l'ordre Bektashi.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Talaat_Pacha

Talaat was the single most important figure in Turkish politics. He was very much a self-made man. Little is known of his origins and background except that they were humble. He began life as a minor employee of the Post and Telegraph Office and is believed to have been a Bektashi, that is, a member of the largest of the Turkish Dervish orders. (The Dervishes were Moslem religious brotherhoods.) He is believed to have joined a Freemason lodge, is known to have organized a secret political society, and to have been imprisoned for a time for his underground activities. 
David Fromkin, A Peace to End All Peace: The Fall of the Ottoman Empire and the Creation of the Modern Middle East (Avon Books, New York, 1989)

http://www.h-net.org/~fisher/hst373/readings/fromkin.html




Un personnage qui a joué un rôle dans la confusion entre maçonnerie et bektashi a d'ailleurs été évoqué dans la conférence de LLP, d'une façon telle que le passage ne choque pas avec l'ensemble uniformément débile de celle-ci :
LLP :
- Initié Rose-Croix, membre également de la Golden Dawn, Hitler sera versé très tôt dans l’ésotérisme satanique par ses fréquentations. Il sera initié à la société secrète de Thulé par Karl Haushofer et Rudolf von Sebottendorf, deux sorciers pratiquant le contact avec le monde des démons, tous deux illuminés adeptes de Weishaupt, rosicruciens et membres de la Golden Dawn.

Ce personnage est Von Sebottendorf.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Rudolf_von_Sebottendorf

Dans le livre, rempli de conceptions théosophistes, dont est extrait le passage suivant, il parle d'initiation maçonnique, alors que ce sont en fait des pratiques propres aux bektashi :

Rudolf von Sebottendorf :
Je fus très troublé en entendant ces paroles (c'était au début de ma propre initiation) que le Cheikh Mch. Rafi adressait à un derviche Bektashi, qu'il initiait à la « Ilm el miftach » ; aucun astrologue n'aurait pu mieux préciser, et avec plus de simplicité, l'action exercée par les planètes. 
La pratique opérative de l'ancienne Franc-Maçonnerie turque

Mais il y avait bien de la maçonnerie en Turquie :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Franc-ma%C3%A7onnerie_en_Turquie

Simplement c'est très, très curieux de la charger injustement des crimes des donmeh, qui, au passage, en plus de la situation de l'Islam en Turquie, sont aussi responsables du génocide arménien. Leurs liens avec l'occultisme nazi sont d'ailleurs évidents, par l'intermédiaire de Sebottendorf, qui finira d'ailleurs suicidé en Turquie, jeté dans le Bosphore.



Abordons maintenant la compatibilité entre l'Islam et la Franc-Maçonnerie, d'après Guénon.

Sur la compatibilité de la Maçonnerie avec tout exotérisme, quel qu'il soit :
René Guénon :
Nous avons dit que l’état d’esprit que nous dénonçons ici est propre à l’Occident ; en effet, il ne peut pas exister en Orient, d’abord à cause de la persistance de l’esprit traditionnel dont le milieu social tout entier est encore pénétré (1), et aussi pour une autre raison : là où l’exotérisme et l’ésotérisme sont liés directement dans la constitution d’une forme traditionnelle (2), de façon à n’être en quelque sorte que comme les deux faces extérieure et intérieure d’une seule et même chose, il est immédiatement compréhensible pour chacun qu’il faut d’abord adhérer à l’extérieur pour pouvoir ensuite pénétrer à l’intérieur (3), et qu’il ne saurait y avoir d’autre voie que celle-là. Cela peut paraître moins évident dans le cas où, comme il arrive justement dans l’Occident actuel, on se trouve en présence d’organisations initiatiques n’ayant pas de lien avec l’ensemble d’une forme traditionnelle déterminée ; mais alors nous pouvons dire que, par là même, elles sont, en principe tout au moins, compatibles avec tout exotérisme quel qu’il soit, mais que, au point de vue strictement initiatique qui seul nous concerne présentement à l’exclusion de la considération des circonstances contingentes, elles ne le sont pas véritablement avec l’absence d’exotérisme traditionnel.
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1 - Nous parlons ici de ce milieu pris dans son ensemble, et, par conséquent, nous n’avons pas à tenir compte à cet égard des éléments « modernisés », c’est-à-dire en somme « occidentalisés », qui, si bruyants qu’ils puissent être, ne constituent encore malgré tout qu’une assez faible minorité.

2 - Nous prenons, pour la facilité de l’expression, ces deux termes d’exotérisme et d’ésotérisme dans leur acception la plus large, ce qui ne peut avoir ici aucun inconvénient, car il va de soi que même dans une forme traditionnelle où une telle division n’est pas formellement établie, il y a nécessairement toujours quelque chose qui correspond à l’un et l’autre de ces deux points de vue ; dans ce cas, le lien qui existe entre eux est d’ailleurs encore plus évident.

3 - On peut dire aussi, suivant un symbolisme assez fréquemment usité, que le « noyau » ne peut pas être atteint autrement qu’à travers l’« écorce ».
Initiation et Réalisation Spirituelle, Chapitre VII - Nécessité de l’exotérisme traditionnel

L'exotérisme certes, mais l'ésotérisme islamique est-il compatible avec la maçonnerie ?
Dans une de ses correspondances à Schuon rendue publique, Guénon répond très clairement à cette question :
(…) Ce que vous avez répondu à Clavelle au sujet de la Maçonnerie coïncide en somme, sur les points essentiels, avec ce que je lui avais déjà écrit moi-même ; il en est ainsi notamment en ce qui concerne la méthode de réalisation faisant en quelque sorte corps avec l’exercice même du métier ; il va de soi, d’ailleurs, que cette question de réalisation n’est pas, dans les circonstances présentes, celle qui se pose de la façon la plus immédiatement urgente… Il est tout à fait exact qu’autrefois, comme vous le dites, « les Maçons pratiquaient toujours l’exotérisme du monde où ils vivaient », et cela parce que la Maçonnerie elle-même n’est liée à aucune forme exotérique déterminée ; pour cette raison précisément elle n’est incompatible avec aucune, en principe tout au moins, de sorte que la question d’un changement de forme traditionnelle ne peut même pas se poser réellement en pareil cas. J’ajoute qu’elle n’est pas incompatible non plus avec tout autre initiation surtout si on ne l’envisage en quelque sorte qu’à titre « accessoire », ce qu’en tout cas son état actuel justifie assurément… Par rapport à l’Islam en particulier, personne, dans les pays islamiques mêmes, n’a jamais pensé qu’il puisse y avoir une incompatibilité quelconque, et cela aussi bien au point de vue ésotérique qu’au point de vue exotérique ; ici, par exemple, il y a toujours eu depuis longtemps des Maçons à la fois parmi les « ulamâ ez-zâhir » et parmi les membres des diverses turuq. Pour ceux-ci, il y a d’ailleurs au moins un exemple illustre : celui de l’émir Abdel-Qader, qui, en dehors de son rôle extérieur, était un mutaçawwuf éminent (ce que les historiens européens paraissent naturellement ignorer), et qui se fit recevoir Maçon lors de son séjour à Alexandrie. Voici encore quelque chose de plus : le Sheikh Elîsh (1) disait que « si les Maçons comprenaient bien leurs symboles, ils seraient tous Musulmans » ; et, à ce propos, il expliquait les 4 lettres du nom d’Allah, sous le rapport de leurs formes comme correspondant respectivement à la règle, au compas, à l’équerre et au triangle...
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1 - Il s’agit du Sheikh égyptien Abd-er-Rahmân Elish El-Kébir auquel est dédié Le Symbolisme de la Croix. Guénon a, selon toute vraisemblance, reçu l’initiation en 1912 de John Gustav Agelii (Abdul-Hâdi) lui même moqaddem du Sheikh Elîsh.
Lettre de René Guénon du 9 novembre 1946

http://www.frithjof-schuon.com/GrandeTriade.htm

L'Islam et la Maçonnerie, en plus de n'avoir aucune raison d'être opposés, sont même totalement compatibles.


Suite :
https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.com/2011/07/les-positions-pseudo-guenoniennes-de_5525.html


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