dimanche 13 décembre 2015

Les droits d’auteur ? Et les droits de René Guénon sur sa propre œuvre ?

Plan :

1) En réponse à notre compte rendu, la « fondation » nous envoie Gallimard.
2) L’université investie par des mouvements non neutres.
     a) L’entrisme à l’université.
     b) L’objet d’étude. 
     c) Luniversité serait exotérique ?
     d) La nature du courant évoqué dans linterview.
     e) Létat actuel de luniversité.
3) Réponse au courrier.
Conclusion.
P.-S.



1) En réponse à notre compte rendu, la « fondation » nous envoie Gallimard.

Après l’attaque échouée contre les livres papier, au tour des pdfs.

Décidément, la « fondation » Jean-Pierre Laurant sort l’artillerie lourde contre ce petit blog. Voici le courrier de Gallimard que nous avons reçu en recommandé :


Au début nous avons cru à une mauvaise plaisanterie, mais après vérification il est authentique. Après prise de contact, la direction juridique de Gallimard nous a fait suivre dans sa réponse un premier courrier, électronique lui, daté du 18/09/2015, et que nous n’avions jamais reçu.

Étonnamment ce n’est pas notre adresse physique principale qui a été utilisée, mais celle de notre famille proche. Est-ce une façon de tenter de nous intimider ?

Nous trouvons vraiment peu élégant de la part de notre dénonciateur d’avoir envoyé nos informations personnelles à un service juridique (et dans notre dos en plus, ce qui n’est pas non plus très courageux), d’autant plus que nous avons eu la charité de ne pas le nommer, lorsque nous avions abordé son annexe faite dans la prétention d’« améliorer » le Règne de la Quantité. Maintenant ce n’est plus par charité, mais par le profond mépris qu’il nous inspire. Lorsqu’à la fin de notre article nous l’invitions à faire une réponse de fond, il était évident que nous parlions d’une réponse traitant des idées, et non d’une réponse touchant le fond au sens littéral…

On nous dénonce comme un malfaiteur, deux mois après cet article. Curieux, de la part de quelqu’un qui, en octobre 2013, s’était présenté à nous par téléphone en prononçant ces paroles : « Bravo, à toi tout seul tu en as fait dix fois plus que nous à dix. » (Nous ne sommes pas seul, mais peu importe.) Nous n’avions pas quémandé le moins du monde ce compliment, on nous l’a dit de but en blanc, et d’autre part nous n’en tirons pas de fierté particulière ; mais nous en avons pris note, et nous le rappelons maintenant à notre délateur, parce que ce ne sont pas les choses qu’on dit habituellement à un faussaire. Ces pdfs étaient déjà en ligne à l’époque et ils ne posaient visiblement pas de problème. Maintenant la « fondation » veut les faire retirer pour nous punir, sans se soucier de punir également les lecteurs de Guénon, ni de fouler aux pieds les volontés de Guénon lui-même, qui voulait avant tout que son œuvre soit le plus disponible possible, libre de toute ingérence.


En fait, j’expose simplement certaines vérités pour ceux, d’où qu’ils viennent, qui peuvent les comprendre plus ou moins complètement, et mon rôle doit se borner à cela.
René Guénon, correspondance à Victor Poucel, 14 juillet 1946.

Quant à la question de la rétribution, vous devez penser que je n’ai jamais eu l’idée de « gagner » avec ce que j’écris.
René Guénon, correspondance à Julius Evola, 21 novembre 1933.

Je souhaite, en tout cas, que vous n’ayez pas à cet égard des ennuis du même genre que les miens ; cette question des éditions me cause toujours bien des soucis. Que faire avec des gens qui font tous leurs efforts pour « enterrer » les livres, alors que, par contre, ils étalent complaisamment dans leur devanture toutes les publications qui me sont hostiles ? Je ne crois pas que cela se soit vu souvent, heureusement d’ailleurs ; il est vrai que cela se rattache étroitement à tout l’ensemble des étranges machinations dirigées contre moi…
René Guénon, correspondance à Luc Benoist, 30 avril 1933.

Sur le refus de Guénon que des commentaires extérieurs accompagnent ses livres (ici c’est à propos d’une traduction, mais la question de la langue n’importe pas concernant le refus) :
je viens de recevoir une lettre d’un certain Monsieur Ary Vasconcelos […] qui m’est tout à fait inconnu […] Il me demande la permission de faire publier une traduction du « Roi du Monde » que, si je comprends bien, il doit avoir déjà faite […] – Maintenant il faut que je vous dise qu’il y a dans sa lettre certaines choses que je trouve quelque peu ennuyeuses : d’abord il parle d’une traduction « avec commentaires » ; là-dessus, je lui dis nettement que je ne pourrais en aucun cas accepter cela, car il se pourrait très bien que ses commentaires ne répondent pas à mes véritables intentions. Il devra donc être entendu qu’il ne s’agira que d’une traduction pure et simple et qu’il n’y ajoutera rien de lui-même ; j’ai eu trop d’exemples de la façon dont beaucoup de gens interprètent les choses pour ne pas me méfier !
René Guénon, correspondance à Galvao, 6 septembre 1949.

Et à la lecture des annexes « fondation », on a tout de suite confirmation, si seulement c’était nécessaire, du bien fondé du refus de Guénon.


On invoque donc contre nous les droits d’auteur au sens financier, alors que la priorité de Guénon était tout autre, mais, pour la « fondation », son droit à ce qu’on respecte sa volonté d’auteur n’a pas d’importance. Elle voudrait que son œuvre ne puisse pas être atteinte sans l’intermédiaire de « docteurs de la loi » universitaires, qui seraient les seuls à pouvoir éduquer les imbéciles lecteurs.

Enfin ces basses manœuvres finissent par être assez lassantes. Nous voudrions profiter de l’occasion pour évoquer une interview assez intéressante d’un ancien libraire, avec laquelle nous restons dans le sujet puisqu’elle traite à la fois des milieux universitaires et de l’édition.


2) L’université investie par des mouvements non neutres.

Nous avons dit que la mentalité universitaire est antitraditionnelle : ceci est assez évident étant donné qu’elle nie la tradition et se veut ouvertement profane. Cela dit nous ne qualifions pas ainsi la totalité des universitaires, parce que certains peuvent n’être pas affligés de cette mentalité, et être malgré tout dans ce genre de milieu pour des raisons de commodité. Mais ces personnes ont leur environnement contre eux, elles sont isolées, elles doivent se contenter de faire des travaux alimentaires et ne peuvent pas utiliser l’université pour ce qui les intéresse réellement.

Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se passe : des groupes se sont introduits dans l’université, et y ont monté des branches officielles pour diffuser des influences qui sont en dehors des cadres de l’université ordinaire (celle dont parlait Guénon).

De manière générale, ce type de diplôme peut flatter l’ego, mais pas seulement. En effet, l’université de manière générale est avant tout un instrument : elle permet d’avoir une reconnaissance officielle, de se donner une notoriété, une apparence de savant aux yeux des organismes et des particuliers, pour obtenir des documents par exemple et se valoriser de leur possession, et elle permet de plus d’avoir des fonds et des organes de diffusion.

Voici une interview, faite le 8 juin 2015, de Bernard Renaud de la Faverie, ancien libraire de La Table d’Émeraude et actuel directeur des éditions Dervy :



(À chaque citation ci-dessous il y a un lien pour arriver directement au passage.)

2) a) L’entrisme à l’université.

Le libraire relate qu’il avait aidé à mettre en place ces diplômes d’ésotérisme dans les années 70, de façon détournée. Avant cela, ces études n’étaient pas considérées fréquentables par les universitaires eux-mêmes :
C’était le grand écart [à propos de la fréquentation de la librairie]. Et puis surtout, ce qui en a fait l’intérêt relativement vite, c’est que je suis sorti de l’ésotérisme avec un petit « e » pour être en contact avec des universitaires qui, là aussi c’était tout nouveau parce que, début 70 l’ésotérisme et l’université ça existait pas hein, donc c’est vrai que, très vite, quand, à l’École Pratique des Hautes Étude, y a eu un diplôme sur le sujet, ben les universitaires, Antoine Faivre ou Jean-Pierre Laurant par exemple, pour ne nommer qu’eux, sont venus à la librairie, et que j’ai eu énormément d’étudiants, d’universitaires qui sont venus, qui venaient acheter leurs bouquins, c’est devenu un lieu de référence là aussi pour l’université, bon ce qui prouve aussi qu’à un moment donné, on est sorti de ce carcan dans lequel était enfermé l’ésotérisme et que c’est devenu une matière qu’on pouvait enseigner, qui devenait fréquentable.

On a fait une revue avec Antoine Faivre, avec Pierre Deghaye et Roland Edighoffer qui s’appelle Ariès, qui se voulait être une revue universitaire, qui a été faite par des universitaires pour des universitaires, tous les intervenants étaient professeurs ou étudiants, et traitaient de ce domaine là, tout à fait.
18:52

32:02
Il y avait un sens, fallait retrouver un sens, et c’est pour ça du reste que ces mots, quand ils ont commencé à être pervertis, ben le sens se perdait. Mais, je dois dire que, on a contribué à faire que cette matière, ce domaine rentre à l’université, et que ça devienne une matière à part entière. Alors on était quand même le seul pays où il y avait pas d’universitaire qui avait un cours, une chaire, au Canada y en avait, aux États Unis y en avait, en Angleterre y en avait, en Allemagne y en avait. En France le premier diplôme, en 72, a été refusé à l’École Pratique des Hautes Études, et il a fallu que ce diplôme soit transféré à la Sorbonne et que ça passe en littérature, c’était sur l’alchimie, c’était sur Don Bela, je me souviens bien, et c’est passé en littérature hein, on ne parlait pas d’alchimie, d’ésotérisme, à la Sorbonne ou à l’École Pratique, c’était un domaine complètement réservé hein. Et il a fallu attendre, à l’École Pratique y avait François Secret qui dirigeait la 5e section, histoire des idées religieuses et ésotériques, mais c’était tout petit, il a fallu ensuite quand Antoine Faivre lui a succédé, qui a commencé à lui donner une ampleur internationale parce que bon comme il était connu dans son domaine, qu’il voyageait etc., ça commençait à prendre de l’ampleur, mais ça c’est fin des années 70 hein. Et c’est vrai qu’on y a contribué, largement, je suis assez satisfait de ça.
34:00


2) b) L’objet d’étude.

34:20
Y avait besoin d’étudier en profondeur ces courants là qui venaient, qui n’étaient pas d’aujourd’hui hein, bon c’est des courants qui venaient de la Renaissance hein, faut pas l’oublier. Donc la Renaissance, et puis ensuite y a eu un renouveau à la fin du XVIIIe, au début du XIXe siècle, et avec bon là aussi des déviances, bon, et étudier tous ces courants là était importants. Donc y avait besoin de rebâtir quelque chose, qui aussi laissait un petit peu à désirer, parce que bon au début du XIXe siècle, y a eu de sérieuses déviances dans ce milieu là, on a un peu confondu les choses hein. Donc bon on a inventé plein de sources égyptiennes, bon qui n’existaient pas, pour essayer de devenir sérieux et tout, mais bon. Donc il a fallu rétablir, et c’est vrai que à l’École Pratique, les cours de François Secret, d’Antoine Faivre, de Jean-Pierre Laurant, ont permis de remettre sur les rails ces courants ésotériques qui ont contribué à l’histoire des idées, encore une fois, de la Renaissance jusqu’au début du XXe.
35:40

Qu’en dit Guénon ?
Ce qu’on appelle la Renaissance fut en réalité, comme nous l’avons déjà dit en d’autres occasions, la mort de beaucoup de choses ; sous prétexte de revenir à la civilisation gréco-romaine, on n’en prit que ce qu’elle avait eu de plus extérieur, parce que cela seul avait pu s’exprimer clairement dans des textes écrits ; et cette restitution incomplète ne pouvait d’ailleurs avoir qu’un caractère fort artificiel, puisqu’il s’agissait de formes qui, depuis des siècles, avaient cessé de vivre de leur vie véritable. Quant aux sciences traditionnelles du moyen âge, après avoir eu encore quelques dernières manifestations vers cette époque, elles disparurent aussi totalement que celles des civilisations lointaines qui furent jadis anéanties par quelque cataclysme ; et, cette fois, rien ne devait venir les remplacer. Il n’y eut plus désormais que la philosophie et la science « profanes », c’est-à-dire la négation de la véritable intellectualité, la limitation de la connaissance à l’ordre le plus inférieur, l’étude empirique et analytique de faits qui ne sont rattachés à aucun principe, la dispersion dans une multitude indéfinie de détails insignifiants, l’accumulation d’hypothèses sans fondement, qui se détruisent incessamment les unes les autres, et de vues fragmentaires qui ne peuvent conduire à rien, sauf à ces applications pratiques qui constituent la seule supériorité effective de la civilisation moderne ; supériorité peu enviable d’ailleurs, et qui, en se développant jusqu’à étouffer toute autre préoccupation, a donné à cette civilisation le caractère purement matériel qui en fait une véritable monstruosité.
René Guénon, La Crise du Monde moderne, ch. I.

Quelques citations plus loin viendront compléter celle-ci.


2) c) Luniversité serait exotérique ?

35:41
Alors après est ce que étudier ça de façon universitaire, est ce qu’on arrive dans l’exotérisme, oui on peut l’imaginer, parce que le côté fermé est un peu dévoilé, mais bon y a malgré tout ce qu’on appelle la transmission, ben ça c’est autre chose, ça ça se dévoile pas, ça se vit, ça se, bon, c’est quelque chose d’autre.
36:16

Exotérique ou profane ? Exotérique sous-entendrait la conformité à une doctrine traditionnelle, avec l’ésotérisme correspondant.

Considérons par exemple les manifestations de cet élève de Jean-Pierre Brach, récemment diplômé de l’EPHE :

Monsieur Slimane REZKI présente ses travaux en soutenance en vue de l'obtention du diplôme de l'EPHE (Section des sciences religieuses)
  • Le Livre des joyaux et des perles de Alî al-Khawwâs
  • Le 16 décembre 2014 à 15h
  • Le France, salle 124
  • Jury : M. JEAN-PIERRE BRACH, M. DENIS GRIL, M. PIERRE LORY

Prêche sur le vivre ensemble :
Débat protestant :

Colloque présentant des moyens pour opérer la réforme de l’Islam :

Nous avons mis ces exemples, parce que le diplôme y est invoqué à chaque fois (sauf pour Massignon). Ces activités officielles sont-elles traditionnelles ? Le lecteur jugera lui-même.


2) d) La nature du courant évoqué dans linterview.

Le libraire est visiblement fulcanellien, ou tout au moins sympathisant de ce courant :

4:47
C’est vrai que la librairie était connue, son nom faisait qu’elle était connue pour le domaine alchimique, et c’est vrai que j’y ai fait rencontrer beaucoup de gens dans ce domaine, qui du reste continuent à se fréquenter, 30 ans ou 40 ans après. Et j’y ai rencontré aussi des gens comme Eugène Canseliet, comme André Savoret, qui étaient porteurs de quelque chose.
5:13

18:52
J’ai récupéré cette revue [La Tourbe des Philosophes], fondée par Jean Laplace en 78-79, et là c’est pareil, ça a été le lieu de rencontre de beaucoup de gens, alors bon, comme dans l’alchimie y a plusieurs courants effectivement, bon, Jean Laplace et moi après on l’a orienté vers les écrits de Canseliet et de Fulcanelli, bon, certains étaient pas d’accord, peu importe y a d’autres courants.
20:04


Il semble également porter Guénon en haute estime. Nous ne remettons pas en cause sa bonne foi, mais il n'a pas dû lire tous ses écrits :

Le no de juillet d’Atlantis a pour titre général Les Argonautes et la Toison d’Or ; M. paul le cour y envisage surtout le voyage des Argonautes comme remontant en quelque sorte les étages suivis par la tradition à partir de son centre nordique originel ; ce pourrait être là un beau sujet de « géographie sacrée »… à la condition de n’y pas introduire trop de fantaisie. – M. Eugène Canseliet étudie l’interprétation hermétique de la Toison d’Or, suivant les conceptions spéciales d’une certaine école où, à ce qu’il nous semble, on donne à l’argot une importance quelque peu excessive. Peut-être est-ce pour cela qu’on pourrait relever dans son article tant d’explications linguistiques sujettes à caution ; mais nous nous contenterons d’en relever une qui dépasse par trop les bornes permises : le mot élixir ne dérive pas du grec, mais est purement arabe ; le simple article al qui entre dans sa composition n’a rien à voir avec le soleil, et, pour le reste, la racine Ksr est bien loin d’ixis ! Il est vrai que, après tout, cela vaut bien l’Iberborée de M. paul le cour, et que, de l’argot… nautique, il n’est que trop facile de passer au bara-gwin
René Guénon, Études Traditionnelles, octobre 1936, comptes rendus de revues.

Canseliet (qui n’est pas Fulcanelli, mais qui se donne comme son continuateur) n’a certainement rien d’un « maître » ; de plus, au point de vue traditionnel, il ne peut se rattacher plus ou moins effectivement qu’à un de ces courants déviés dans le sens « naturaliste » auxquels j’ai fait allusion en diverses occasions.
René Guénon, correspondance à Eric Ollivier, 26 septembre 1946.

Ce livre porte un sous-titre assez ambitieux : « Étude sur l’ésotérisme architectural et décoratif de Notre-Dame de Paris dans ses rapports avec le symbolisme hermétique, les doctrines secrètes, l’astrologie, la magie et l’alchimie », mais nous devons dire tout de suite que tout cela n’est guère justifié par le contenu, car, en fait, c’est à peu près uniquement de magie qu’il est question là-dedans, ou, du moins, tous les sujets qui y sont abordés sont ramenés, de parti pris en quelque sorte, à ce qu’on pourrait appeler la perspective magique. Cependant, on y parle souvent d’ésotérisme et même d’initiation ; mais c’est que celle-ci est elle-même confondue avec la magie, avec laquelle elle n’a pourtant rien à voir en réalité ; nous nous sommes déjà suffisamment expliqué sur cette confusion, en d’autres occasions, pour que nos lecteurs sachent ce qu’il convient d’en penser, mais il ne sera pas inutile d’insister quelque peu sur ce qui la rend ici plus particulièrement dangereuse. En effet, le point de vue auquel se place l’auteur ne lui appartient pas entièrement en propre ; on y retrouve (et sans doute la dédicace du livre « à la mémoire de Fulcanelli » est-elle un indice assez significatif à cet égard) des traces d’une certaine initiation qu’on peut dire « dévoyée » et dont nous connaissons par ailleurs d’assez nombreux exemples, depuis la Renaissance jusqu’à notre époque. Précisons qu’il s’agit en principe d’une initiation de Kshatriyas (ou de ce qui y correspond dans le monde occidental), mais dégénérée par la perte complète de ce qui en constituait la partie supérieure, au point d’avoir perdu tout contact avec l’ordre spirituel, ce qui rend possibles toutes les « infiltrations » d’influences plus ou moins suspectes. […]
René Guénon, Études Traditionnelles, mars-avril 1946, comptes rendus de livres, Robert Ambelain. – Dans l’ombre des Cathédrales.

par un phénomène assez étrange, on voit parfois reparaître, d’une façon plus ou moins fragmentaire, mais néanmoins très reconnaissable, quelque chose de ces traditions diminuées et déviées qui furent, en des circonstances fort diverses de temps et de lieux, le produit de la révolte des Kshatriyas, et dont le caractère « naturaliste » constitue toujours la marque principale (1). Sans y insister davantage, nous signalerons seulement la prépondérance accordée fréquemment, en pareil cas, à un certain point de vue « magique » (et il ne faut d’ailleurs pas entendre exclusivement par là la recherche d’effets extérieurs plus ou moins extraordinaires, comme il en est lorsqu’il ne s’agit que de pseudo-initiation), résultat de l’altération des sciences traditionnelles séparées de leur principe métaphysique (2).
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1 – Les manifestations de ce genre semblent avoir eu leur plus grande extension à l’époque de la Renaissance, mais, de nos jours encore, elles sont fort loin d’avoir cessé, bien qu’elles aient généralement un caractère très caché et qu’elles soient complètement ignorées, non seulement du « grand public », mais même de la plupart de ceux qui prétendent se faire une spécialité de l’étude de ce qu’on est convenu d’appeler vaguement les « sociétés secrètes ».
2 – Il faut ajouter que ces initiations inférieures et déviées sont naturellement celles qui donnent le plus facilement prise à l’action d’influences émanant de la contre-initiation ; nous rappellerons à ce propos ce que nous avons dit ailleurs sur l’utilisation de tout ce qui présente un caractère de « résidus » en vue d’une œuvre de subversion (voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXVI et XXVII).
René Guénon, Aperçus sur l’Initiation, ch. XL.

les sciences de l’ordre cosmologique sont effectivement celles qui, dans les civilisations traditionnelles, ont été surtout l’apanage des Kshatriyas ou de leurs équivalents, tandis que la métaphysique pure était proprement, comme nous l’avons déjà dit, celui des Brâhmanes. C’est pourquoi, par un effet de la révolte des Kshatriyas contre l’autorité spirituelle des Brâhmanes, on a pu voir se constituer parfois des courants traditionnels incomplets, réduits à ces seules sciences séparées de leur principe transcendant, et même, ainsi que nous l’indiquions plus haut, déviés dans le sens « naturaliste », par négation de la métaphysique et méconnaissance du caractère subordonné de la science « physique » (1), aussi bien (les deux choses se tenant étroitement, comme les explications que nous avons déjà données doivent le faire suffisamment comprendre) que de l’origine essentiellement sacerdotale de tout enseignement initiatique, même plus particulièrement destiné à l’usage des Kshatriyas. Ce n’est pas à dire, assurément, que l’hermétisme constitue en lui-même une telle déviation ou qu’il implique quoi que ce soit d’illégitime, ce qui aurait évidemment rendu impossible son incorporation à des formes traditionnelles orthodoxes ; mais il faut bien reconnaître qu’il peut s’y prêter assez aisément par sa nature même, pour peu qu’il se présente des circonstances favorables à cette déviation (2), et c’est là du reste, plus généralement, le danger de toutes les sciences traditionnelles, lorsqu’elles sont cultivées en quelque sorte pour elles-mêmes, ce qui expose à perdre de vue leur rattachement à l’ordre principiel. L’alchimie, qu’on pourrait définir comme étant pour ainsi dire la « technique » de l’hermétisme, est bien réellement « un art royal », si l’on entend par là un mode d’initiation plus spécialement approprié à la nature des Kshatriyas (3) ; mais cela même marque précisément sa place exacte dans l’ensemble d’une tradition régulièrement constituée, et, en outre, il ne faut pas confondre les moyens d’une réalisation initiatique, quels qu’ils puissent être, avec son but, qui, en définitive, est toujours de connaissance pure.
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1 – Il va de soi que nous prenons ici ce mot dans son sens ancien et strictement étymologique.
2 – De telles circonstances se sont présentées notamment, en Occident, à l’époque qui marque le passage du moyen âge aux temps modernes, et c’est ce qui explique l’apparition et la diffusion, que nous signalions plus haut, de certaines déviations de ce genre pendant la période de la Renaissance.
3 – Nous avons dit que l’« art royal » est proprement l’application de l’initiation correspondante ; mais l’alchimie a bien en effet le caractère d’une application de la doctrine, et les moyens de l’initiation, si on les envisage en se plaçant à un point de vue en quelque sorte « descendant », sont évidemment une application de son principe même, tandis qu’inversement, au point de vue « ascendant », ils sont le « support » qui permet d’accéder à celui-ci.
René Guénon, Aperçus sur l’Initiation, ch. XLI.


2) e) Létat actuel de luniversité.

Le milieu universitaire est donc dans un état encore pire qu’à l’époque de Guénon : maintenant, certaines de ses branches servent simplement de façade à des mouvements douteux multiples (dont celui que nous avons vu n’est qu’un exemple), qui l’emploient comme une sorte d’« exotérisme » (avec la parodie d’ésotérisme correspondante) pour diffuser leurs tendances auprès du public, normaliser ce qui touche aux néo-spiritualismes, à l’occultisme, à la magie, à des déviances diverses qui vont jusqu’au satanisme, sans avoir l’air d’y toucher, et attirer à eux ceux qui y sont prédisposés, tout en contribuant à inspirer aux autres le dégoût de la tradition véritable, en usurpant la dénomination d’ésotérisme pour présenter toutes ces choses.

Et ce sont des personnes de ce milieu qui prétendent aujourd’hui régir l’œuvre de Guénon.


3) Réponse au courrier.

Répondons maintenant à ce courrier :
  • Il n’y a pas de livre de Guénon chez Gallimard Jeunesse. Nous savons que la « fondation » veut expliquer Guénon aux jeunes, mais de là à faire passer les lecteurs de Guénon pour des enfants…
  • La page indiquée ne contient aucun lien de téléchargement, mais juste des liens vers d’autres pages du blog. Les liens de téléchargement, eux, sont dans la page de chaque livre.
  • Il est un peu bizarre de traiter notre travail de contrefaçon, alors que ces versions numériques sont antérieures à celles de Gallimard (qui pour la plupart des livres de Guénon n’en propose d’ailleurs même pas).
  • Ces versions sont de plus proposées pour tenter d’accomplir le souhait de René Guénon lui-même, qui voulait que son œuvre soit le plus disponible possible. 
  • Elles permettent d’étudier l’œuvre d’une façon différente, par les recherches par mots clefs par exemple, et la plupart des gens préférant lire sur du papier, elles ne sont pas du tout préjudiciables à la vente des livres physiques. Au contraire, il n’est pas rare qu’on nous dise avoir acheté des livres, après avoir découvert l’œuvre de Guénon par les versions numériques. Quant aux 2 ou 3 versions numériques depuis peu disponibles chez Gallimard, nous ne savons pas si elles se vendent, mais si cela n’est pas le cas, le prix exorbitant ne doit pas y être pour rien (pratiquement le même qu’un livre papier). Et pour finir sur la question des ventes, voici ce qu’en dit le libraire dans la vidéo citée ci-dessus :
    https://youtu.be/K-9uX0zpwgQ?t=14m03s
    14:03
    C’est pas compliqué, vous prenez Guénon par exemple, j’ai l’habitude de dire qu’il n’y avait pas un jour où je ne vendais pas un exemplaire d’un titre de Guénon. Aujourd’hui pour vous donner des exemples, les 3 éditeurs qui se partagent le fonds Guénon, c’est entre 300 et 500 exemplaires par an au titre. Avant c’était au minimum 3000 exemplaires au titre par an. On est effectivement dans une période d’acculturation, de désintérêt, et vous ne trouvez même plus, dans les bibliographies de bouquins qu’on nous propose, vous ne trouvez même plus ces références là.
    14:44
    Qu'on ne nous fasse pas porter la responsabilité de cet état général.
  • Enfin, les nouvelles versions avec les récents ajouts de la « fondation » ne respectent plus la volonté de Guénon, et cela justifie d’autant plus les versions que nous proposons.

Malgré tout cela, nous avons tout de même supprimé les liens de téléchargement vers les livres édités actuellement par Gallimard, nous nous en excusons d’avance auprès du public français, et les prions d’attendre leur remise en ligne en 2022, lorsque l’œuvre sera libre de droits en France (si la loi n’a pas encore changé d’ici là).


Conclusion.

On ne répond pas sérieusement à nos critiques, mais en représailles on nous parle de droits d’auteur, et on agite devant nous la menace de la loi humaine, qui, comme nous l’avons dit il y a peu, change constamment pour des raisons très diverses. Nous l’avons pris en compte, et avons fait en sorte de ne plus prêter le flanc à cette hostilité sourde qui tourne à l’acharnement. Mais réfléchit-on seulement à ce que veut dire l’expression « droits d’auteur » ? Où est la considération du souhait de René Guénon lui-même concernant son œuvre dans l’attitude de la « fondation » Jean-Pierre Laurant ? Qu’en est-il de sa légitimité, et qu’en est-il de sa soi-disant indépendance ?

Nous profitions de la tolérance générale concernant les versions numériques sur internet, certes cela n’était pas totalement rigoureux, mais de notre côté nous le faisions avant tout pour servir les intérêts de l’œuvre, en tentant de suivre au mieux les volontés de Guénon.


P.-S.

Notre correspondant pour le Canada, un certain tagardak, nous signale que dans ce pays, cette œuvre est dans le domaine public depuis 2002, et qu’il veut la proposer pour les canadiens, sur le site suivant :
Nous saluons cette initiative, légalement irréprochable, au moins l’œuvre de Guénon ne sera pas perdue pour tout le monde !